En ce début de troisième trimestre 2015 sortait le 36ème tome d’Astérix. Exit Uderzo et Goscinny, c’est ici les deux nouveaux auteurs, Ferri et Conrad, qui portent sur leurs épaules la lourde tâche de mettre en scène les gaulois moustachus. Après un Astérix chez les Pictes assez inégal, ce Papyrus de César est une réussite ! Les auteurs ont su s’approprier les personnages et l’histoire en ficelant un album très drôle et dans l’ère du temps. Le scénario est solide et construit, et le dessin presque égalable au trait d’Uderzo. Mais attardons-nous sur une question : d’où vient cette manie de la part des éditeurs de relancer des bd qui ont marqué les esprits ?

Bandes rémunérées
Bon, on ne se le cachera pas, à l’instar d’Hollywood qui multiplie par paquets de douze les reboots, la première raison est commerciale. Les tirages des BDs qui ont connu des succès passés se vendent bien, comme le montre le tableau des meilleurs ventes 2014. Récemment c’est Corto Maltese qui a également été ressuscité après 20 ans d’absence. Sous la plume de Rubén Pellejero sur un scénario de Juan Diaz Canales, les auteurs ont réussi à sortir de sa retraite l’aventurier. Si l’album est honnête, sa réussite se solde surtout grâce à la nostalgie qu’ont les lecteurs à redécouvrir leurs personnages favoris.
Mais seulement, un personnage meurt-il avec son auteur ? Comment retrouver le talent d’un Moebius, d’un Hugo Pratt, d’un Goscinny ou d’un Franquin ? Pour ce dernier, pas de reboot de Gaston Lagaffe prévu (à croire que tous les gags ont déjà été faits !), mais Spirou continue à vivre encore et encore.
De la créativité dans la contrainte
En effet, le groom le plus célèbre de la bd en est déjà à sa 54ème aventure ! Après être passé entre les mains de nombreux auteurs, depuis 2010 c’est Yoann et Vehlmann qui mettent en scène les aventures du rouquin.
Malgré la volonté des éditeurs de marquer une continuité dans le déroulement de leurs histoires, certains prennent des initiatives assez remarquables. Pour Spirou, on peut citer la série parallèle Le Spirou de… où, durant un album, un ou plusieurs auteurs s’approprient le mythe. Et par Toutatis qu’est-ce que c’est bon ! On sent que les auteurs s’y éclatent et se donnent à fond ! Loin de la tournure commerciale que peuvent prendre certaines séries, on a là un rafraîchissement très plaisant. Quel bonheur de lire La Grosse Tête (par Tehem), ou Panique en Atlantide (par Trondheim et Parme), deux albums dans lesquels des talentueux auteurs s’amusent en nous racontant des aventures aux styles graphiques très différents. Car c’est cela qu’on recherche en bande-dessinée : la diversité, le plaisir de lecture et les belles histoires.

S’inspirant surement de cette stratégie, c’est au tour de Lucky Luke de voir son univers chamboulé. Le « poor lonesome cowboy » est loin de ranger son colt, depuis la disparition de Morris en 2001, c’est sous la plume d’Achdé, descendant graphique du dessinateur, qu’il survit. 7 albums après, la BD trouve toujours son public. Et l’an prochain, pour les 70 ans de l’homme-qui-tire-plus-vite-que-son-ombre, une série parallèle verra le jour. A Angoulême seront présentés le Lucky Luke de M. Bonhomme et celui de G. Bouzard. La comparaison est frappante, d’un côté un cowboy sombre, aux dessins durs et à l’atmosphère lourde et de l’autre un dessin tout en rondeur pour une histoire drôle et décalée !
Il est vrai nous voudrions en tant que lecteurs voir un peu plus d’innovations dans le monde de la BD. Mais ces stratégies restent intéressantes pour tous ! Les séries »officielles », cohérentes et léchées, seront épluchées case par case par les briscards de la bande-dessinée ; tandis que les séries parallèles plairont aux jeunes lecteurs, ou aux amateurs de choses nouvelles.
Maintenant pourquoi certaines séries comme Astérix n’ont pas le droit à se faire revisiter par un autre auteur ? Ne serait-il pas jouissif de voir un album bien différent ? Pour l’irréductible gaulois cela semble compliqué, voire même impossible, sachant qu’il fait partie de notre culture, et qu’il est devenu un »bien public ».
La question se posera certainement dans de nombreuses années, en 2054, lorsque le Tintin de Hergé tombera dans le domaine publique. Ainsi, on ne sait pas ce que les éditeurs nous réserveront. Tout cela parait loin, mais la question est déjà d’actualité dans le Neuvième Art, et en proie à des débats.