Rappel des faits : 7 janvier 2016, BFM Business consacre une interview à Philippine Dolbeau venue fièrement nous présenter « New School », son nouveau gadget pour automatiser l’appel en classe.
Ça y est, tous les boîtiers sont prêts ! Mise en place de notre toute première classe New School demain, Trop hate ! pic.twitter.com/I9xVwY7yHz
— NewSchool (@NewSchool78) January 4, 2016
Cette jeune entrepreneuse en première L nous explique comment New School va révolutionner l’école. En quelques mots son « boitier » s’attache à un porte clé et le professeur n’a qu’à démarrer une application mobile qui localise tous les boitiers à proximité pour voir quels élèves sont présents.
Vidéo de présentation du produit : on vous laisse regarder la vidéo à 24 secondes pour comprendre que le plus important au lycée ce n’est pas d’y être mais d’écouter
Si Philippine s’acharne à ce point à louer les nombreux mérites de son invention c’est parce que faire l’appel ça prend du temps. Et oui à la fin de l’année cela représente même plusieurs heures mais New School en est-elle pour autant essentielle ?
News School, un graaaand concept
Notre délicieuse lycéenne a donc prévu que les élèves porteraient un petit boitier accroché comme un porte-clé. Oui c’est un peu comme un bracelet électronique pour les prisonniers tout à fait. Une petite menotte funky qui aidera les jeunes souffrant de phobie scolaire à encore mieux appréhender le lycée ! A titre de comparaison : ils seraient 1 à 3% en France lorsque 0,4 % des élèves sont signalés aux directions académiques pour absentéisme. Plutôt que de chercher un nouveau moyen de signaler les absences scolaires, pourquoi ne pas tenter de les éradiquer ? Ah oui ça demanderait une remise en question totale de l’Ecole alors que les choses sont si simples : il suffit de travailler et d’être là pour réussir.
Mais d’ailleurs le temps perdu à faire l’appel l’est-il vraiment ? Ce temps en est un où chacun commence à prendre conscience des autres, il annonce une transition douce du divertissement pascalien vers la rigueur et oui cela prend quelques minutes. Mais cela ne serait-il pas la preuve même des problèmes de notre système scolaire : plutôt que d’alléger les programmes scolaires ou revoir l’organisation des cours magistraux on préfère croire que changer la façon de faire l’appel réglera tous les soucis.
…à la mise en place dangereuse
Philippine Dolbeau, 16 ans. L'école doit ouvrir la voie vers le numérique et vers ceux qui osent et entreprennent. A tous les âges !
— Alain Juppé (@alainjuppe) January 8, 2016
Comme le disait mon maire bienaimé l’école doit se tourner vers le numérique… mais peut-être pas de n’importe quelle façon (je passe sur le fait que porter une balise n’a rien de numérique…), parlons un peu technique.
Les boitiers fonctionneraient grâce à une technologie propriétaire iBeacon. En quelques mots : un logiciel est libre si son code source est publié avec celui-ci (afin de le modifier, de l’améliorer, de s’en inspirer, etc.), sinon il est dit propriétaire car seul ce dernier connait son code. L’Éducation Nationale a une position plus que critiquable sur le sujet : celle-ci répète qu’il faut utiliser LibreOffice car c’est une solution de traitement de texte open-source mais parallèlement signe des contrats avec Microsoft pour faire de Windows le système d’exploitation utilisé dans tous les collèges et lycées.

Peut-être que la licence copyright de votre puce vous importe peu car vous ne comptez pas modifier votre boîtier mais cela pose des problèmes de vie privée. La technologie est fournie par Apple et qui sait comment celle-ci pourrait s’en servir. Qui nous dit que la localisation ne sera pas utilisée à votre insu, par des magasins voulant connaitre la part d’enfant en temps réel et leur déplacement par exemple. Avec la revente de données, la liste de potentielles utilisations abusives est longue.
Mais surtout iBeacon est une technologie Bluetooth qui transmet un signal du porte-clé émetteur vers le mobile du professeur. Elle est semblable à NFC et faillible (de nombreux articles y sont consacrés). D’abord le signal peut être intercepté puis être reproduit. Concrètement, cela veut dire qu’un de vos amis peut très bien capter votre signal de votre balise et le reproduire depuis son téléphone, et ce, de votre gré ou non. D’ailleurs, sans imaginer quelque chose d’aussi technique, rien n’empêche à un élève de prendre le porte-clé de l’autre et de fausser l’appel. Deux cas de figures sont alors possibles : le professeur s’en aperçoit et le temps perdu à faire l’appel sera alors le même, il est même possible que suite à de nombreux abus les administrations renoncent à cette technologie, mais cela peut être pire. Le professeur pourrait faire aveuglement confiance à la machine, l’appel serait alors faux et rien ne pourra montrer le contraire puisque les ordinateurs ne mentent pas.

De la même façon si on oublie ses clés, que fait-on ? On retourne chez soi les chercher et on perd une heure de cours (ce serait ironique) ? On prévient le professeur qui perdra du temps à vous inscrire comme bien présent au cours ? Et maintenant si ce sont plusieurs élèves qui l’oublient ou même les perdent ? Autant de temps perdu à montrer que les élèves sont présents et autant de questions auxquelles le site ne répond pas.
Pour finir sur une note positive
Finalement, si l’idée du projet n’est pas mauvaise et partait d’un bon sentiment (gagner du temps pour boucler des programmes surchargés) de nombreuses choses sont à déplorer : le manque de transparence des technologies utilisées par l’Éducation Nationale ; sa façon de penser qu’envoyer un SMS aux parents des élèves absents réglera la situation ou encore cette réflexion manichéenne qui veut qu’une idée luttant (en théorie) contre l’absentéisme est bonne (voire la meilleure). Tout cela fait de New School le reflet de ce que qui rend l’École exécrable.
Cependant, soyons optimistes et rappelons que ces reproches vont plus vers le système éducatif que vers New School. Qui sait, peut-être que Philippine Dolbeau inspirera un jour un·e jeune à prendre le relai dans la transformation numérique de l’éducation ? Peut-être que sa volonté de faire le bien sans trop changer le système en inspirera d’autres…
[EDIT : 31 juillet 2018]
Newschool a répondu aux accusations de surveillance permanente (cf. §…à la mise en place dangeureuse). D’après l’entreprise, les boitiers ne s’activeraient qu’au moment de l’appel et de l’entrée et de la sortie du bus. Dur d’imaginer comment le système marche alors. La Quadrature du net y consacre un article et un thread et semble pour le moins dubitatif. L’association pointe également la potentielle illégalité du système.
Edit bis : depuis des lycéens ont refusé de se voir imposer ces bracelets. Philippine Dolbeau a également sous-entendu que Newschool ne ferait peut-être pas si long feu. On souhaite donc d’autant plus qu’elle ait pu inspirer d’autres entrepreneur·es (surtout vu le nombre de conférence qu’elle a pu faire grâce à son invention).
(dernier paragraphe également reformulé pour plus de clarté)
Comme eux, lâche un coms ;-p