Interview : Davy Mourier : entre Freud et SuperCaca

Nous l’avions aperçu par hasard le matin du jour même où nous devions l’interviewer, dans une des nombreuses expos du Festival de la BD d’Angoulême. Il nous avait prévenu : il ne faudrait pas être en retard. En effet, arrivé avec 4 minutes d’avance au rendez-vous, un T-Shirt Star Trek, un jean, une veste Superdry, voici Davy Mourier, un des premiers trublions à s’être servi d’internet pour exprimer ses envies créatives. A la fois réalisateur, comédien, acteur, one man showneur, scénariste, animateur TV, vidéaste, blogueur, dessinateur et auteur de bande-dessinée, il est sans doute l’auteur d’Angoulême qui porte le plus de casquettes.

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Davy Mourier : Origins

Par quel bout prendre Davy Mourier, sans faire un sous-entendu que l’auteur affectionne tant ? Commençons par le début et penchons-nous sur le Davy de 1996. Alors que je n’étais même pas né, le jeune auteur essayait déjà de se faire un petit nom dans le grand monde de la BD. Il nous raconte qu’il arrivait quelques fois à accéder à l’espace confidentiel VIP des stands des éditeurs (où nous nous trouvons d’ailleurs pour enregistrer l’interview). Il y croisait des auteurs célèbres, il leur montrait ses planches, on les regardait, il était content, on lui disait non, et il repartait. Le Davy Mourier a grandi depuis, gagné en influence, en ventes de BDs et en milliers de vues sur le net. Qu’en penserait le Davy de 1990, l’ado parmi tant d’autres plein de rêves et d’illusions ? Davy nous prévient : il ne faudrait surtout pas que son double du passé soit au courant de sa réussite à venir ! En effet, il aurait peur que ce jeune Davy devienne « une feignasse » en voyant la réussite de son contemporain. Il poursuit en nous adressant ces mots, qui ferait pâlir un prof de philo :

« La vie est mal faite ! Quand t’as 20 berges, tu peux éjaculer tout le temps que tu veux partout, sauf que t’éjacules jamais dans le trou ! Tu es là et tu fais ‘’Ouaais je fais de l’art, j’en mets partout !’’ »

La métaphore peut paraître graveleuse mais le fond y est. Quand on est jeune on est persuadé d’être un génie, on ne trouve pas cela logique de ne pas faire de BD, ça énerve. On a peut-être du talent, de l’énergie, il faut réussir à la cadrer.

De la baston et du caca

Le Davy qui approche maintenant la quarantaine a grandi, il a perdu cette fougue et il a gagné en vitesse d’exécution. Il insiste d’ailleurs sur l’un de ses maîtres mots dans son travail : l’efficacité. Davy Mourier déteste les choses qui trainent, il faut que ça aille vite, sinon il s’emmerde. Ses scénarios il les écrit en une semaine, record battu pour la bd au doux titre de SuperCaca dont il a écrit 38 pages en 8h d’affilée. Mettant en scène des bastons types shônen avec du caca, il signe la BD avec Stan Silas.

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Davy Mourier trop rapide ? Des scénarios bâclés, un humour gras, bête et pipi-caca ? Il est facile de trouver les arguments de ses détracteurs, surtout en sachant que sa prochaine série s’appellera MyTeub. Réduire Davy Mourier au pipi-caca ce serait comme réduire les Experts à Horatio Caine (YEAAAAH). Là où l’un est plastique et placide, l’autre déborde d’un certain talent pour jongler entre humour, tristesse et tendresse. Son « adolescence artistique », comme il le dit, c’est en 2007 quand il sort Nerdz, sa websérie :

« Nerdz c’était du foutre du foutre ! Mais dès qu’il y avait une rupture amoureuse, Poulpe et Didier me disaient : allez vas-y écris… T’as envie de les séparer vas-y ! »

Jusqu’à Relation Cheap

La séparation, les relations aux autres, l’amour… Les thèmes clés de sa dernière BD Relation Cheap, réalisée en collaboration avec Elosterv. Cette histoire ‘’à 80% véridique’’ est celle de la relation entre les deux auteurs de BDs, via réseaux sociaux. Toutes les conversations dans la BD entre Elosterv et Davy Mourier sont réelles, il s’agit de la première bd épistolaire 2.0 ! Après avoir fait connaissance et être devenus les amis qu’ils sont maintenant, les deux dessinateurs ont eu peur de perdre leurs échanges et ont donc décidé de sortir cet ouvrage. La BD a été réalisée à distance, et les deux auteurs ne se sont revus qu’ici à Angoulême pour dédicacer côte à côte. Il nous raconte que tout a été très rapide, et qu’ils avaient envie de raconter des histoires qu’ils n’avaient jamais vues traitées dans le 9ème art. Insistant sur le fait qu’il ne voulait pas faire que de l’humour encore une fois, Davy Mourier a souhaité intégrer plusieurs niveaux de lecture : une drague, une drague via internet, entre deux auteurs de BDs qui essaient de manger grâce à leurs dessins…

Mais en plus de raconter cette relation, l’auteur n’hésite pas à incorporer dans le récit des histoires annexes, comme ces bouleversantes planches sur un jeune homme qui cache son cancer à celle qu’il aime.

Notre discussion dans Relation Cheap est ultra monotone en soit, mais apporter des planches en plus ça casse l’éventuel ennui que pourrait ressentir le lecteur ! En plus on peut appuyer l’histoire, qui parle d’amour, en parlant encore d’amour à travers des histoires que nous avons faites.

Le clown triste

Jeune, Davy Mourier pensait qu’il ne ferait que de l’humour. Mais quand on regarde ses oeuvres, « Pour une poignée de psychotropes », « Journal Intime d’un Geek dépressif », « Petite dépression entre amis » (son spectacle) tout cela sonne quand même plus triste que drôle… Quand on l’interroge à ce propos, il nous rappelle qu’il suit une psychanalyse depuis 11 ans, et qu’il est sous anti-dépresseurs depuis 1 an.

Mais alors, Davy Mourier est-il un clown triste ? L’auteur se pose plein de questions sur la vie, sur la mort, sur le déterminisme. C’est d’ailleurs un thème qu’on retrouve dans la Petite Mort (sa BD en trois tomes aux éditions Delcourt), à qui on oblige de devenir faucheuse alors qu’elle voudrait être fleuriste. Celui qui pensait passer toute sa vie dans un bureau de son Ardèche d’origine se demande quand sera-t-il grand. Davy Mourier n’est pas grand, il ne le sera jamais, il devient juste vieux. Mais il peut de moins en moins se poser cette question de fatalité, car plus il grandit, plus il fait les métiers qui lui plaisent. On lui a toujours dit qu’il ne fallait pas rêver, qu’il n’était pas fait pour devenir ce qu’il est aujourd’hui :

« On rêve souvent de faire de la BD, mais c’est rare, à part pour des personnes aussi talentueuses que Bastien Vivès, d’être projeté d’un coup dans ce monde. En vrai le processus est très lent ! 15 années se sont déroulées entre la première fois que j’ai présenté mes travaux, et la première fois que j’ai été édité en 2009. T’imagines le nombre de remises en questions qu’on peut avoir ? »

C’est avec un sorte d’émerveillement enfantin qu’il nous montre deux de ses couvertures affichées au mur de l’espace Delcourt où nous nous trouvons. C’est là qu’il s’est rendu compte du chemin parcouru, et des étapes franchies. Le Davy Mourier a enfin sa place dans le monde de la BD, bien qu’il nous avoue qu’il assume encore mal sa casquette de dessinateur, préférant être catégorisé comme auteur. On le retrouvera d’ailleurs au riche casting d’Infinité 8 au côté de Vatine, Boulet, Zep, Guibert, ou encore Trondheim. Ce dernier il le connait bien, c’est ensemble qu’ils ont écrit la websérie Reboot, dont la deuxième saison est en écriture.

De l’introspection à Freud

Davy Mourier est un fou de travail et de création ! Il travaille également actuellement sur la suite de sa série titre La Petite Mort, ainsi que sur le dessin animé qui en sera adaptée. Malgré le fait qu’il ait longtemps réfuté, sa Petite Mort c’est lui. Il nous explique que c’est surement de l’égocentrisme, mais tous les auteurs sont leurs personnages. Il est difficile pour lui d’inventer des choses qu’on a pas ou peu vécues. 

Quand tu as accepté que c’était toi tout le temps, tu crées plus facilement. Et souvent les jeunes auteurs essaient de raconter des histoires, sans se rendre compte qu’ils parlent d’eux. Et ces histoires ne sont pas vraiment terminées, toujours dans un entre deux. Et quand je parle avec eux et que je leur demande ce qu’ils veulent raconter, on se rend compte qu’il ont besoin de se raconter. Quand l’auteur a compris qu’il avait besoin de dire ça, de SE raconter, il est libéré d’un poids.

Davy Mourier a eu besoin de faire ses BDs « psychanalytiques’’, à la manière d’un Larcenet, pour pouvoir enfin arriver à maturité. Le grand-père de la Petite Mort caché dans le placard, c’était le sien, dont on lui a caché le cancer quand il était enfant. C’est comme cela que le succès a grandi et qu’il est face à nous aujourd’hui. D’ailleurs, le tome 4 de la Petite Mort parlera du fils de celle-ci qui deviendra papa. Est-ce encore un phénomène inconscient ? Davy Mourier avoue ne pas avoir hyper envie de se reproduire, mais qu’il trouverait peut-être un jour LA fille. Quand il voit en librairie des BDs « Super Papa » ça le rend triste, il n’aime pas trop lire des histoires sur la famille.

Je suis plus « Super Caca » que « Super Papa », moi j’ai envie de lire des aventures avec des gars qui se battent avec des merdes. Je suis un gosse encore ! Malheureusement j’ai plus l’âge… Quand je pense que je serai en maison de retraite avec un t-shirt SuperMan va falloir vraiment me piquer je pense !

Davy Mourier rigole de tout, et surtout de lui même. Il le dit : dans ses vidéos quand il se met à poil, il joue un personnage. Une « mise à nue » autant au sens figuré qu’au sens propre ». A vrai dire Davy Mourier EST un personnage. Ce qu’on trouve du vrai Davy, celui qui s’assume mal et qui est fragile, on le trouve dans ses BDs. Et quand on lui parle de la fin de la Petite Mort, cela ne l’effraie pas plus que ça. Dans son prochain tome, qui sera une histoire longue de 96 pages tout au pinceau, on parlera encore de déterminisme, mais aussi de féminisme, de machisme, de père omniprésent, de violence conjugale… 

Ce qui est sûr c’est que le Davy de 1990 peut être fier de voir son alter-ego du futur réussir ce qu’il entreprend. Comment rebondir, comment ne pas s’enfermer toujours dans le même média ? Il nous parle de son futur gros projet…

Je suis en train d’écrire un long métrage pour le cinéma. Ca s’appellerait L’Age de Pierre et ça raconterait l’histoire d’un mec qui s’appelle Pierre, et on le suit à deux âges de sa vie. Le moment où il passe de l’enfance à l’adolescence et le moment où il devient adulte après la mort de son père. Le truc c’est qu’il n’a pas envie de devenir adulte et il porte encore des t-shirts de super-héros et de séries télé.

Ce personnage, il se trouve face à nous. Difficile de faire la distinction entre fiction et réalité, ce qui est sûr c’est que Davy Mourier mérite sa place. Celui qui se considère comme un éternel adolescent n’a plus beaucoup de cheveux, mais la tête qui bouillonne constamment de ce désir constant de créer. Et pendant qu’on termine notre entretien, il nous dessine un petit bonhomme à poil.

Bon… Ca démonte un peu ce qu’on vient de dire, mais une teub à l’air, c’est intergénérationnel non ?

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