Le 14 mai 2015 dernier, surfant (comme disent les vieux) sur Facebook j’apprends la mort de B.B. King. L’un des guitaristes, compositeurs, chanteurs de blues les plus respectés de la musique s’est éteint à Las Vegas. L’un des mes artistes préférés n’est plus.
B.B. King (né Riley Ben King en 1925) ne se dévoua pratiquement qu’à un style de musique durant toute sa longue carrière et ce jusqu’à sa mort le 14 mai 2015. Ce style, c’était le blues. De 1957 avec l’album Singin’ The Blues, en passant par Lucille en 1968, jusqu’à Riding with The King (avec Eric Clapton) en 2000, B.B. King vécut blues, joua du blues, il consacra sa vie entière au blues. Son attachement à ce style, si simple en apparence mais si fort et beau, a forgé l’homme ainsi que sa musique : toujours accompagné de Lucille, sa fidèle guitare qu’il avait sauvée lors d’un incendie dans un bar au péril de sa vie, la musique du King avait une âme, un son, une image.
Revenir sur la totalité de la carrière de B.B. King serait long, inintéressant et pas très parlant pour comprendre le « symbole » qu’il représentait. Il me semble néanmoins important de rappeler quelques éléments biographiques et informations sur le personnage.
Lorsque le King commence à découvrir la musique, le blues et le jazz ont déjà parcouru un bout de chemin : entre le blues acoustique primaire de Robert Johnson jusqu’à la guitare électrique jazz de Charlie Christian il y a du monde. Le talent de B.B. King a été de synthétiser ces nombreuses influences et styles pour produire son propre son. Ainsi, sa musique apparaît comme une conclusion face aux années du blues passé et une introduction pour le blues des années à venir. B.B. King incarne alors — avec Muddy Waters et Buddy Guy par exemple — un nouveau blues plus électrique.
Le 14 mai 2015, B.B. King meurt à l’âge de 89 ans, après de multiples concerts d’adieux et de retours. Il n’avait jamais pu se résoudre à arrêter la musique. Avec la récente mort de David Bowie, le XXIème siècle apparaît comme celui qui verra disparaître les dernières grandes idoles de la musique pop/rock/blues authentique.
Siècle où la musique semble avoir du mal à se renouveler, siècle où le blues n’a plus sa place et de moins en moins d’artistes pour l’incarner et le faire vivre, lui qui avait enfanté le jazz, le rock’n’roll, le rythm’n’blues, jusqu’à la pop et le hardrock. Face à ce XXIème siècle qui musicalement m’effraie, je pose la question : « quel blues aujourd’hui ? »
Entendons nous bien, le blues est probablement à l’origine de toute la musique écoutable aujourd’hui tant son impact a été grand. Je ne vais pas m’attacher ici à décrire les artistes de blues modernes, au sens strict du terme, mais je vais plutôt m’intéresser aux artistes de rock’n’roll, pop et rock revendiquant le blues comme principale influence[1]
Le blues des survivants
Rock ou plus rock ?
La musique, particulièrement le blues et le rock, a cette fâcheuse tendance à pervertir, ronger, et souvent tuer les personnes qui la jouent. Certes ce n’est évidemment pas la seule cause, la fièvre du succès y participe elle aussi, certains meurent parfois de causes naturelles, mais les exemples sont nombreux : alcoolisme, addictions, drogues, beaucoup n’en sont pas passés loin comme Jerry Lee Lewis ou The Rolling Stones, d’autres y ont laissé leur peau comme Jimi Hendrix.
Justement cette poignée de survivants ayant laissé leur foie et leurs neurones 50 années en arrière ou n’ayant abusé de rien lors de leur carrière continuent parfois à se produire et à livrer l’énergie qu’il leur reste, pour le meilleur mais parfois pour le pire.
Les performances sont souvent décevantes chez les artistes les plus vieux. Logique dira-t-on, néanmoins il m’est impossible de ne pas parler de Chuck Berry et Jerry Lee Lewis aujourd’hui. Tous deux pionniers du rock’n’roll dans les années 50, d’éternels rebelles et agitateurs de foules, en concurrence pour savoir qui était le plus « rock » : ces deux là ont marqué leur temps et leurs concerts avec leur énergie. Chuck Berry inventa le « duck walk » et faisait grands écarts et pirouettes sur scène qui enflammaient le public, tandis que Jerry Lee Lewis, lorsqu’il ne foutait pas le feu à son piano, tapait dessus avec ses pieds.
Mais aujourd’hui, ces deux artistes sont beaucoup moins énergiques. Peut-être que Chuck Berry était trop occupé dans les années 80 à mettre des caméras dans les toilettes des femmes dans son restaurant pour se rendre compte qu’il perdait de sa fougue et qu’il devenait de moins en moins convaincant. Sur scène, dans les concerts filmés de 2010/2011 les performances sont presque tristes : voix cassée, Chuck presque immobile à jouer des titres qu’il répète depuis plus de 50 ans. Quand à Jerry, ses pulsions destructrices et rock’n’roll ne sont plus crédibles et deviennent, je pense, chorégraphiées : plus rien de spontané pour un style qui ne réclame pourtant que ça.
Loin de moi l’idée de cracher bêtement sur ces deux figures et musiciens que je respecte et admire. Ils sont devenus de vieilles personnes comme je le serai un jour : évidemment que Chuck Berry n’est plus capable de faire de grands écarts sur scène à l’âge de 89 ans ! Nostalgique d’une époque que je n’ai jamais connu, je constate avec tristesse et colère que malheureusement rien n’est éternel. Mais n’y-a-t-il pas un moment ou il faut savoir se retirer ? Cependant, peut-être que je n’ai rien compris et que finalement Chuck Berry et Jerry Lee Lewis sont dans la logique « rock » jusqu’au bout. Jerry Lee Lewis ne disait-il pas : « If I’m going to hell, I’m going there playing the piano. » ? Et si ce n’était pas ça finalement le rock : se donner jusqu’à son dernier souffle.
Du blues et du rock qui bougent encore
Deux artistes à qui j’attache une importance particulière continuent à proposer une musique blues et rock de qualité : The Rolling Stones et Eric Clapton. Ces artistes très prolifiques au cour des années 60/70 ont tous deux synthétisé leurs influences blues (B.B. King notamment) pour créer un rock survolté à l’image des Rolling Stones, et un blues tantôt psychédélique tantôt authentique pour Eric Clapton.
The Rolling Stones affichent clairement leurs influences blues dans leurs premiers albums comme The Rolling Stones Nr. 2 en 1965 avec des compositions originales comme What a Shame, ou encore des reprises de Chuck Berry, l’idole de Keith Richards, avec You Can’t Catch Me. Ces influences les suivent dans leurs albums suivants : le style est moins boogie/rock’n’roll mais le blues est toujours présent que ce soit dans Let It Bleed ou encore Exile On Main Street. Mais des tensions internes très fortes entre les glimmer twins ainsi que l’usage massif et l’abus de drogues précipitent le groupe vers soit la mort, soit la séparation. Néanmoins, The Rolling Stones survivent, à eux même et au temps.
Ayant conquis alors leur statut de groupe culte auprès des jeunes de leur génération et des jeunes d’aujourd’hui, les Stones sortent moins d’albums, plus de compilations, et font surtout d‘immenses tournées internationales dans tous les plus grands stades et continuent à faire vivre la magie. C’est plaisant de voir un groupe des années 60/70 perpétuant sa musique aujourd’hui et réussissant à ramener tant de monde, preuve que le vrai talent se reconnait et traverse les époques. Si les Stones étaient morts étouffés dans leur vomi, on se souviendrait d’eux comme de talentueux artistes ayant marqué leur époque, mais les Stones sont encore en vie : on les considère comme des légendes ayant marqué leur temps mais aussi le nôtre.
A là même époque un jeune musicien fait parler de lui et est considéré comme l’un des meilleurs guitaristes du monde. Eric Clapton, lui, a une approche différente du blues mais néanmoins tout aussi intéressante. Guitariste virtuose, il participe dans les années 60 au British blues boom en rejoignant des groupes de blues authentique comme celui de John Mayall & The Bluesbreakers, de blues un peu plus survolté comme The Yarbirds, mais aussi à un blues psychédélique poussé dans ses retranchements avec le groupe Cream. Clapton apparaît comme un musicien ne cherchant pas tant le succès, mais surtout un moyen de jouer du blues et de s’exprimer musicalement. Il quitta d’ailleurs de nombreux groupes qu’il estimait devenir trop pop. Néanmoins, l’alcoolisme, les addictions à la drogue, les ruptures jusqu’à la mort de son fils l’effacent en tant qu’homme mais l’effacent aussi du paysage musical. On entends moins parler d’Eric Clapton de la fin des années 70 jusqu’au début des années 90. Il réussit à surmonter toutes ses épreuves à l’aide de ses proches, et revient en force en 1992 avec un album de reprise blues maintenant culte : Unplugged.
C’est ce Eric Clapton qui aujourd’hui fait encore vibrer le blues. Comme B.B. King, l’un de ses grands amis, Eric Clapton vit à travers le blues et dès son retour à l’orée des années 90, il publie de nombreux albums en solo ou avec des bluesmen qui lui sont chers : Riding with the King en 2000, The Road to Escondido (avec J.J. Cale) en 2006 et sort son dernier album intitulé I Still Do le 20 mai 2016. Avec la mort de B.B King l’année dernière ainsi que la mort de J.J. Cale en 2013, Eric Clapton reste l’un derniers représentants d’un style dont il l’est l’une des figures majeures.
Quel bilan ?
Le blues et le rock sont donc encore bien représentés de nos jours par de nombreux artistes ayant participé à l’élaboration et/ou la consécration de ces styles, de Chuck Berry à Eric Clapton. Que ce soit par leur présence, par leur activité musicale, ces musiciens ayant survécu à leur carrière, aux abus et à la musique, continuent et essaient à leur échelle de perpétuer le blues et le rock à notre époque. Mais on voit bien que cela s’annonce difficile, le temps faisant son action. De plus, si ces artistes perpétuent cette musique, ils ne la réinventent plus, que cela soit pour Jerry Lee Lewis, mais aussi pour Eric Clapton et les Stones. Certes, Clapton ne s’en sort pas trop mal, il produit une musique de qualité et promeut les nouveaux bluesmen du XIXème siècle avec son festival Crossroads aux États-Unis. Mais les Stones eux: pas un album culte dans la lignée de Let It Bleed à l’horizon! Leur frénésie créatrice des années 60/70 semble bien s’être éteinte au fur et a mesure que les conflits sont apparus. Les Stones ne sont plus considérés comme des rockeurs, mais plutôt comme des papys du rock, comme un vieux meuble qu’on se plaît à garder chez soi, juste pour savoir qu’il est encore là.
Il ne faudrait donc pas que compter sur les musiciens des décennies passée pour sauver le rock et le blues, mais plutôt sur une nouvelle génération, avec des influences et aspirations différentes. Mais qu’elle est cette génération ? De quoi se nourrit-elle ? Existe-elle tout simplement ? Ou est-ce que comme le disait B.B. King, le frisson est parti ? Je répondrai à ces questions dans la partie 2 de cet article.