C’est sous l’impulsion de l’autrice Lisa Mandel et de la sociologue Yasmine Bouagga que la collection Sociorama voit le jour aux Editions Casterman début 2016. La palettes des sujets traités est aussi large que la diversité d’auteur.ices et de sociologues participant au projet. Le principe est simple : dans chaque volume, un.e bédéiste s’associe à un.e sociologue afin de traiter un sujet allant du monde de la pornographie à l’étude du travail d’une rédaction pour le journal télévisé ou bien encore de la vie quotidienne d’employé.es d’un supermarché.
De « socio en cases » à Sociorama
En 2012-2013, des sociologues s’étaient déjà réuni.e.s pour créer l’association « socio en cases ». Le mariage de ces deux disciplines peut paraître surprenant, associant une science sociale universitaire et un art parfois encore peu reconnu. La bande dessinée est intéressante tout d’abord car elle est un objet de culture populaire de plus en plus présent mais aussi car le dessin permet de traduire des émotions, des comportements de façon très réaliste. Un peu comme pourrait le faire la sociologie qui vise d’abord l’objectivité en somme.
La Banlieue de 20h entre adaptation et enquête sur le terrain
Il y a donc souvent un ouvrage sociologique sur lequel se penche un.e bédéiste en essayant de le transposer en dessin. L’auteur.ice se rend sur le terrain pour rencontrer les protagonistes à l’instar du dessinateur Helkarava qui a accompagné des équipes de tournage pour son travail sur La Banlieue du 20h, coécrit avec Jérôme Berthaut. Lors d’une conférence à Lyon pour la sortie du nouvel opus de la collection « Sociorama », l’auteur confiait qu’il avait dû faire évoluer son dessin. Il avait été d’abord poussé par des stéréotypes autour de la banlieue et avait fini par changer cela, se rendant compte de la réalité bien différente.

Turbulences et le choix de l’angle
Les personnages présentés dans chaque ouvrage sont en réalité un condensé de plusieurs témoignages recueillis lors de l’enquête sociologique. Une des missions pour le.a bédéiste est également de sélectionner les angles d’études. Il n’est en effet pas possible de rendre compte de tout. Il faut donc adapter le récit au dessin. Le recours à cet art permet d’ailleurs de mettre en lumière certains phénomènes. On peut prendre l’exemple de Turbulences, qui étudie le quotidien du personnel à bord d’une grande compagnie aérienne. Baptiste Virot y dessine le réveil d’une hôtesse de l’air et d’un pilote en mettant graphiquement en parallèle le rituel de chacun. Il est alors frappant que le matin d’une hôtesse est soumis beaucoup plus fortement aux exigences de beauté de son métier, la forçant à se lever plus tôt. C’est de cette même façon que l’on constate également des différences de niveau de vie.

Sociorama n’a pas pour projet d’être un vulgarisateur de concepts sociologique. Pas de narrateur externe pour expliquer aux lecteur.ice.s ce qu’est « l’habitus » de Bourdieu par exemple. Les BDs mettent plutôt à disposition des expériences, des témoignages qui permettent de s’immiscer dans un milieu jusqu’alors inconnu et de se faire soi-même son opinion.
Encaisser ! la petite dernière
L’ouvrage le plus représentatif de la collection serait sans doute sa dernière publication Encaisser !. Anne Simon y adapte en bande dessinée l’enquête de Marlène Benquet. Celle-ci se déroule en immersion dans la grande distribution. Elle dépeint le quotidien de caissières de l’hypermarché « Batax » mais aussi celui du directeur des ressources humaines ou d’une responsable syndicaliste. On suit alors l’arrivée de Sabrina, caissière en devenir qui va devoir apprendre à se conformer aux heures de travail à rallonge, au salaire inversement proportionnel au temps passé à travailler, au logiques capitalistes qui imposent rapidité et obéissance. Le directeur des ressources humaines, quant à lui, se retrouve soumis lui aussi à des pressions venant des dirigeants de l’entreprise. Arrive alors cette triste conclusion : tous ces acteurs sont des pions dans l’organisation entrepreneuriale et n’ont pas réellement de pouvoir décisionnel. Néanmoins malgré ces similitudes, les différences de niveaux de vie, les conditions de travail sont très différentes.

Certains passages font prendre conscience au lecteur.ice, à travers des anecdotes par exemple, de la difficulté du métier. Et ce que ce soit lorsque Sabrina doit gérer la garde de ses enfants ou lorsque des clients lui crachent dessus car elle n’est pas assez rapide. Le but de la sociologie est ici absolument retranscrit. On délivre objectivement des faits et chacun en tire la conclusion que l’on souhaite. Quiconque n’a jamais côtoyé le milieu de la vente en supermarché sera intéressé.e par cette lecture.
Bilan
Ce ne sont pas des pastilles humoristiques qui sont présentées ici mais bien des faits qui ont cours dans notre société. C’est parfois l’absurdité de certaines exigences qui pousse à sourire, pas la situation en elle même qui rend compte de difficulté et la précarité des employé.e.s de ce type de structure. Il ne faut donc pas s’attendre à lire une suite d’anecdotes sur les plaisirs et les déplaisirs de la vie de caissier.e mais bel et bien une enquête sociologique dont la forme est un peu moins traditionnelle.
En bref, cette collection est intéressante pour aborder de nombreux sujets et amener dans les mains de gens qui ne lisent pas forcément de la sociologie les grandes questions sociétales actuelles.
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