Après une longue pause, le crou Stupeflip revient à la vie et ça fait plaisir. Cependant, reste la question qui nous taraude tous. Cet album est-il bon ? King Ju s’est-il reposé sur ses lauriers ?
(A noter que pour les lapin·e·s qui n’aime pas lire je me suis lancé dans une petite vidéo explicative. A noter aussi que vu le matériel et le montage, l’article sera peut-être plus agréable.)
Que vaut Stup Virus ?
Ecouter Stup Virus c’est un peu comme voir les nouveaux Star Wars. D’un côté l’excitation de voir se prolonger une saga si chère à son cœur est bien là, d’un autre on est forcément un peu déçu·e. En l’occurence, la plus grande cause de cette frustration réside dans le fait qu’alors que l’on s’attendait à écouter le nouvel album de Stupeflip, on écoute en fait le 1er album du « Stup Crou ». Et bien oui, il faudra s’y faire, pas une seule référence aux Argémiones et la région Nord est évoquée à seulement 2 reprises dans tout l’album. L’album ne tourne qu’autour du Crou Stupeflip (et non pas la mythologie qui l’entoure). « Qui est dans le crou et qui ne l’est pas ? qui achète des trucs au stupemarché et qui n’achète pas ? » à remplacé « certains rencontrent Dieu et d’autre ne le rencontrent pas ».
Un retour réussi de Stupeflip
Est-ce que ça en fait un mauvais album pour autant ? Non. L’album garde les nombreuses qualités que l’on peut attendre de Stupeflip.
Les boucles sont toujours aussi envoutantes (il suffit d’écouter Creepy Slugs). Les paroles, toujours à base d’allitération en r et k, gardent cette corrosive mélancolie. Entre trips incompréhensibles (« grosse tête Jean-Luc lem…« ) et anarchisme sans grande conviction, l’esprit du crou est toujours là. Même si l’on peut imaginer que ce ne sont pas forcément que des motivations artistiques qui ont motivé la création de l’album (cf la genèse de Terrora), on sent que King Ju prend toujours le même plaisir dans l’écriture comme dans le chant. Alors oui, cet album est bon.
Des erreurs regrettables
Cependant, l’album connait aussi certaines faiblesses. D’abord un certain manque de nouveautés. Que ce soit à l’échelle de sa discographie ou de la scène rap française en générale, Stupeflip semble stagner. C’est d’autant plus surprenant qu’en 3 ans, Julien Barthélémy a eu le temps de prendre du recul et de voir ce qui pouvait se faire d’autre dans le rap.
Il ne s’agit pas de nier que le groupe a trouvé une formule magique qui rend tous ses albums bons et cohérents mais plutôt qu’il serait temps d’essayer d’innover. L’album ayant été financé avant d’être enregistré, King Ju aurait pu utiliser cette marge de liberté. L’album est en effet musicalement plus proche de The Hypnoflip Invasion que ne l’était Terrora!!.
C’est d’autant plus frustrant que dès que le groupe essaie de s’éloigner un peu des derniers albums cela se révèle mauvais. La voix de Sandrine Cacheton (sorte de GLaDOS lisant les textes écrits par King Ju) aurait pu être supportable voire drôle si elle n’avait pas été usée à tort et à travers. De la même façon, laisser tomber la mythologie aurait pu être un choix légitime si l’album proposait vraiment de quoi la remplacer (et pas que de l’égotrip). On regrette aussi la disparition de l’outro de 15 minutes. Ou plutôt de ce faux espoir d’un dernier morceau affichant 15 minutes. Celui-ci est bien présent mais le morceau en lui-même ne dure que 3 minute 42 de morceau (il y a un morceau caché et du vide pour arriver à 15 minutes). En réalité c’est 1993 (2 min 52) qui aurait été le plus digne de conclure l’album. Au niveau des textes comme de l’immersion qu’ils provoquent c’est sans doute le morceau qui se rapproche le plus de Région Est.
ET ALORS ? ELLE EST OÙ TA CONCLUSION ???
En fait ça en devient assez simple : l’album est bon. Le problème c’est qu’au vu de ce qu’on pouvait attendre de Stupeflip et de ce à quoi ils nous avaient habitué·e·s c’est décevant. Individuellement, on ne saurait dire quel morceau pose problème. C’est à la fin de l’album qu’on a le sentiment qu’il aura manqué quelque chose. Dur de dire quoi si ce n’est l’univers de Stupeflip.
L’album reste néanmoins indissociable du projet Stupeflip. Que ce soit pour continuer d’explorer l’univers du crou ou simplement parce qu’il est bon, Stup Virus vaut très largement le coup d’être (ré)écouté.
Stup virus, un tournant croumercial ?
Aussi curieux que ça puisse paraitre de nombreux « fans » de Stupeflip (réunis dans l’A.S.F.H.) se plaignaient dès la parution de The Antidote d’une tournant trop commercial. Certains allaient même jusqu’à se plaindre d’entendre Stupeflip sur NRJ. Autant le dire tout de suite, l’album risque de les décevoir. Mais quelque part, tant pis pour eux.
Ce sont en général ces mêmes personnes qui croient avoir le mieux cerner « l’esprit stupeflip ». Mais qui mieux que Stupeflip sait ce que Stupeflip doit être ? De plus cette évolution est totalement logique. King Ju n’a jamais masqué sa volonté de plaire au large public (« on veut du pognon avec celle-là », « si y a du fric à faire, on va pas cracher dans la soupe »).
On pourra aussi rappeler que dès le premier album d’ailleurs Stupeflip passait en radio avec Depuis que je fume plus d’shit. L’album est, certes, sans doute le plus « commercial » du groupe mais il n’est en aucun cas un tournant en cela.
L’album n’est pas plus calibré pour être vendu en FNAC que les autres. On observe en effet qu’il est justement trop niais, trop pop-hip pour plaire à un large public. En ce sens, Stup Virus pourrait – conceptuellement – s’apparenter à la vaporwave. En reprenant à outrance les codes de la « musique de supermarché », le sens de la musique finit par échapper à l’auditeur non averti (dur de savoir comment aborder Lonely Loverz). Il ne s’agit pas de prendre l’album au 2nd ou au 3ème degré mais bien de comprendre son but assumé.
La question du pour quoi
Et c’est justement ça que cela pose problème : pour qu(o)i est fait cet album ? Dire qu’il est fait pour les fans serait peut-être hypocrite, ceux-là l’ayant déjà acheté. On observe aussi la présence de Force Field sur l’album, chose étonnante, le morceau ayant déjà fuité… il y a 6 ans.
Dire que c’est pour l’argent serait probable mais en même temps pourquoi le faire maintenant et pas plus tôt ? D’autant plus que Ju compose maintenant des musiques de film.
Il semblerait aussi bizarre que le public visé par l’album soit le public de NRJ. On l’a vu lorsque Norman avait utilisé Stupeflip Vite! dans une de ses vidéos, de nouveaux fans étaient arrivés intrigués mais étaient bien vite passé à autre chose devant l’étrangeté de l’univers.
Il semblerait donc que la plus grande énigme de cet album, a priori commercial mais pas plus que les autres, soit la raison de sa fabrication. En attendant qu’importe, Stupeflip revient et c’est pas pour déplaire.