Photo d'ARM (ex-psykick Lyrikah) pour son nouvel album "Dernier Empereur"
Gildas Raffenel

ARM, poète, rappeur, dernier empereur

On a aimé
La beauté de l'abstraction
Une qualité d'écriture indéniable
On a eu des difficultés avec
Le manque d'accessibilité de certaines paroles
Des choix d'instrus et de flow parfois assez étrange
72

Ce vendredi sortaient non seulement le très attendu Le chat et autres histoires du Klub des Loosers mais aussi le non-pas-moins-intéressant Dernier Empereur d’ARM. ARM pourrait s’entendre comme « Art, Rimes et Musique » mais surtout comme de la poésie. Après la fin de son groupe « Psykick Lyrikah », c’est seul que le chanteur et lyriciste a pris la suite.

8 disques plus tard, voici donc Dernier Empereur. L’album fait partie de ces albums de rap qui, encore en 2017, échapperaient aux catégories. Rap alternatif ? Un peu trop large… Expérimental ? Cela fait quand même 15 ans qu’ARM officie… Engagé ? Pas vraiment…

Non, décidément on aurait du mal à définir Dernier Empereur autrement que par son côté intemporel. On a bien sûr des références modernes à la pop culture (des clins d’œil à Blade Runner, Akira, Taxi Driver, Batman et Star Wars dans Roule) et des instrus aux airs de trap (quoiqu’un peu vieillies), mais c’est assez marginal, ça n’encre pas l’album dans notre période.

Brumes et poésie

Plus que l’intemporalité c’est bien l’abstraction et la poésie qui font l’essence de cet album qui semble dicté par cet impératif donné par Verlaine un siècle et demi plus tôt :

Car nous voulons la Nuance encor,
Pas la Couleur, rien que la nuance !

 Art Poétique

On pourrait par exemple penser à ces quelques phrases (vers ?) issus de Ta main

Au milieu des rosées que tes matins déversent
Sur ton sol enflammé, comme des milliers de flèches
J’ai couru comme jamais pour ravaler mes pleurs

Ces quelques phrases en disent long sur l’album. Le rappeur ne finit pas de nous peindre un univers sonore. Les raps ne sont pas tant des histoires que des paysages. Et pourtant… Les textes n’ont rien d’une nature morte. Au contraire, les instrumentales rendent toute la dimension organique de ces paroles parfois si contemplatives.

En revanche…

Bien sûr, ARM n’échappe cependant pas au problème de tout poète symbolique : celui de nous faire se demander « mais de quoi parle-t-il au juste ? » Même lui ne semble pas toujours très bien le savoir… Sur son Facebook il déclare ainsi à propos du même morceau :

[Ta main] parlait à l’origine de la nostalgie d’un pays perdu. Après l’avoir posé, ce qu’il racontait semblait avoir changé. J’y entendais plein de choses que je ne pensais pas avoir voulu écrire.

Il serait cependant tout à fait injuste de le lui reprocher (reprocherait-on aux toiles de Kandisky de manquer de précision ?) mais le fait est que son rap a un côté assez obscur. Un peu à la façon du vantablack, on aurait du mal à cerner la profondeur des mots. Simple allégorie ? Double sens ? Image ? Qu’importe…

Les textes font à ce titre partie de ceux que l’on oserait pas trop s’approprier de peur de mal les avoir compris, de les dénaturer. On comprend les punchlines et en même temps est-ce que l’on les a pas plutôt interprétées. ARM c’est un peu un canard-lapin permanent ou un bâton brisé dans un verre d’eau. Qu’est-ce qui relève de l’illusion, qu’est-ce qui relève de l’essence ?

On pourrait prendre à ce titre les paroles de De passage pour exemple :

 

Preuve par l'exemple : De passage

On trace la route devant, et ça fait quelques années
Qu’on écrit des visages sur des paysages de papier

ARM avance dans la musique, écrit beaucoup et ses textes parlent avant tout de l’humain. Le texte a peut-être (sans doute ?) d’autres significations mais on en a déjà saisi une.

Pages blanches, terrains vagues

Ça se complique un peu… Une évocation du processus d’écriture ? Si oui est-ce à prendre littéralement ou pas ?

Comme depuis tes vingt ans

Et voilà on a fini par décrocher. Le « tes » est-il une auto-interpellation d’ARM ? Pourtant il vient bien d’utiliser « on » pour se désigner, non ? Un « tu » de généralité alors ? Ça n’aurait pas vraiment de sens…

On ne sait pas très bien. Non bien sûr, ce n’est pas grave, on peut considérer (car il le faut) que les doutes de l’auditeur font partie de l’album mais on aimerait être rassuré·e par moment. Sentir que non, c’est album n’est pas un corps totalement étranger, qu’on peut s’y retrouver.

Conclusion

L’album garde néanmoins une force rare, celle de parler humain, parler beauté, parler abstraction en parlant paysage. ARM se pose alors en parnassien romantique moderne écrivant dans du granite – avec prods plus organique pour compenser ou réciproquement et réciproquement.

Un petit côté « quand je vous parle de moi, je vous parle de vous » hugolien et sa « plume ancrée née au kérosène » en devient universelle. Non il n’y a pas à dire, ARM continue de garder son style qui lui est propre.

En attendant le featuring annoncé avec Lucio Bukowski et Fayçal, on ne peut que vous recommander Dernier Empereur.

Dernier empereur disponible sur iTunes et en physique sur sa boutique officielle.