Nous avions quitté le Klub des Loosers en 2012 avec son second opus, La Fin de l’Espèce – même si Fuzati n’était jamais très loin avec album instrumental Last Days, son Grand Siècle réalisé avec Orgasmic et ses quelques apparitions [1, 2, 3]. C’est Le Chat et autres histoires, sorti ce vendredi (en même temps que Dernier Empereur), qui vient donc clore cette trilogie entamée il y a plus de 13 ans avec Vive la Vie. L’occasion pour nous de nous attarder un peu sur ce nouvel objet très attendu par une fanbase solide et fidèle. Celui-là même qui, mine de rien, vient mettre un petit high kick dans la fourmilière du Klub, autant en termes d’exécution artistique que de concept et de contenu lyrical.
« Les rats sont un peu partout parce que les chats passent leur temps à rêver »
La musique
Pour l’avoir vu, le Klub des Loosers accompagné d’un live band marche plutôt bien (malgré quelques petits soucis de micro). La plupart des réinstrumentations des beats de Vive la Vie sonnaient étonnamment juste. La couleur des boucles d’origine se prêtait d’ailleurs bien à l’exercice et voir un guitariste backer Fuzati est très divertissant.
C’est la première belle surprise que nous réserve Le Chat et autres histoires. Exit les samples obscurs et les pads de percussion, tout est composé et joué. Dans une interview-fleuve, Fuzati nous apprend d’ailleurs qu’il s’est inscrit 2 ans au conservatoire pour préparer cet album. Si les influences restent plus ou moins les mêmes (jazz, funk, vieille pop bizarroïde, …) le résultat final a forcément plus d’allure. Le son n’en est que plus riche et chaud, soutenu par des claviers et des jolies lignes de basse. Ce choix présente aussi l’avantage d’ouvrir la porte à quelques petites fantaisies. On retrouve ainsi des vraies intros instrumentales ou des instrus plus évolutives – on pense notamment au changement à mi-morceau sur Deux Clowns, assez magistral.
« Attention a ne pas confondre les chats crevés et les chats fatigués
Les deuxièmes peuvent bouger quand on leurs donne a manger »
Le chant
À noter également, la nouvelle passion de Fuzati pour les refrains chantés – vous l’aviez pas vue venir celle-là, avouez ! On retrouve en effet sur une grosse majorité des titres tantôt des vocals assurés par des invités, tantôt du vocoder (pour un résultat très Air-esque), voire même simplement le chant du rappeur sur Acétone par exemple. Finalement rien de très étonnant quand on lit que Fuzati, invité à définir sa musique, parle de pop et illustre son propos en citant Taxi Girl et Brigitte Fontaine.
Et c’est un point indispensable à l’appréciation et à la compréhension de l’album. Car à la première écoute, c’est avant tout des lacunes rythmiques franchement gênantes qui ressortent… Le rappeur-chanteur a du mal à garder le tempo (et son souffle) sur la quasi-totalité du projet. Non pas qu’il ait toujours été très au point à ce niveau-là mais cela peut clairement enlever du plaisir à l’écoute.
Cependant, ce n’est pas du tout dépourvu de sens si l’on comprend qu’il ne s’agit pas d’un album de rap. Il s’agit, à la rigueur, d’un album rappé. Lui-même le répète depuis des années dans nombre d’interviews : il n’écoute plus de rap depuis un bout de temps. Il préfère tourner à la musique brésilienne, au jazz ou encore au rock psyché. En démontre d’ailleurs la création de ses deux labels “Très Groove Club” et le “Très Jazz Club”. Il n’a plus spécialement envie de kicker et semble simplement vouloir poser son texte sur un support musical — même si on note des tentatives de flow (une ouverture qui caractérisait Grand Siècle). Il opte souvent pour une diction plus libre et parfois chantonnée qu’on avait déjà pu remarquer sur Dernier Métro. Ça surprend, c’est certain, mais une fois le pari vocal de l’album intégré c’est avec plaisir que l’on navigue sur ce qui s’apparente plus à des spleens curieux narrés sur de beaux arrangements qu’à des morceaux de hip-hop.
« Les enterrements, évidemment, sont toujours faits pour les vivants,
mais les vivants, évidemment, n’aiment pas aller aux enterrements »
Le concept, l’histoire
L’autre particularité de cet opus, c’est son concept. Il nous offre une mosaïque de petites histoires pathétiques qui le situe bien loin de La Fin de l’Espèce (dédié tout entier au refus de procréer). Ce qu’il fait dans Neuf moins Huit, petite compilation de paroles et de pensées rapportées (« A dit le type qui… »), il le fait tout au longtemps de l’album. Le MC versaillais passe alors tour à tour le micro à un écrivain raté, à un clown d’hôpital, à un touriste déçu des States, …
Fuzati décide ici de porter plusieurs masques en délivrant des scènes et des instants de vie racontés sous des perspectives différentes. C’est d’abord une façon originale et rafraîchissante de mettre un terme à une trilogie qui, jusqu’ici, se caractérisait justement par la linéarité de ses épisodes (même si Vive la Vie ne manquait pas de morceaux à thèmes). Mais cela rend aussi l’écoute aussi divertissante qu’intéressante. Je suis curieux de voir cet album vieillir.
« Ici sous les néons du bar, tu ne la trouves pas très attirante
Dis-toi bien que ce sera pire demain matin à 7h30 »
L’album, sa cohérence et ses textes
Les pistes s’enchaînent, les histoires aussi et les images sont superbes. Le saisissant Le Bouquet, qui raconte l’aventure urbaine d’un amant désabusé voulant honorer son rencard, saura trouver son public tant l’écriture est efficace et la chute, géniale.
De la même façon, Deux Clowns est déchirant et bien pensé. La première partie dépeint le quotidien d’un clown pour enfants atteints du cancer, apprenant à vivre parmi des petits bouts de mort et à connaître le désespoir de leurs parents. La seconde est une analogie maligne entre la vie de clown et celle d’artiste : les tournées, la promotion, les interviews, … Tout cela n’est qu’une grande et sophistiquée farce de clown.
Nous pourrions aussi parler de Fantômes, stupidement vraie, ou du Poing Américain, jumelle de L’Indien dans le ton comme dans l’instru qui fourmille de punchlines malicieuses et jouissives (car Fuzati reste un rappeur à punchlines). Il s’agit d’ailleurs d’une petite évolution dans la recette lyricale du Klub. Sans que le discours général soit forcément beaucoup moins grave, l’écriture est plus joueuse. Des jeux de mots, des rimes et des flows un peu tordus, des métaphores filées (Le Cosmonaute)… Et bien sûr le titre Le Chat (reprise partielle de son vieux Chacun cherche son chat) que je vous laisse découvrir.
« Comprendre la gravité c’est regarder chuter des corps »
Conclusion
Le Chat et autres histoires débarque et raconte au creux d’un bel enrobage musical la peur de l’oubli et la quête de sens, l’embarras des retrouvailles quand on n’a plus rien à se dire, le temps qui passe, les caprices idéologiques des époques et des ados, les gens, la ville, le boulot, l’amour et les chats.
L’aventure Klub des Loosers prend donc fin ici avec ce 12 titres. Touchant, bien réalisé et très observateur, comme une série documentaire un peu triste mâtinée d’humour qui semble avoir été tournée avec plaisir (du moins on l’espère !) par un drôle de personnage auquel on s’attache un peu plus à chaque fois qu’il nous dédicace un mollard.
Reste à savoir s’il passera l’épreuve de la scène et quel accueil lui réservera le public… Même si on ne doute pas qu’au point où il en est, ça ne doit pas beaucoup tracasser Fuzati.