Aujourd’hui sort aux Editions « L’Association », la bande dessinée Trou Zombie des deux auteurs et dessinateurs Grégoire Carlé et Sylvestre Bouquet. Les deux artistes ont eu la chance, grâce à l’aide du Centre Européen d’Actions Artistiques Contemporaines de Strasbourg, de partir vivre pendant plusieurs mois à Jacmel, en Haïti. Ils proposent aujourd’hui une bande dessinée sur leur périple singulier.
Cette œuvre m’a intrigué pour plusieurs raisons, esthétiques d’abord mais aussi car la perspective d’un récit de voyage de deux européens à Haïti me laissait perplexe. Vision exotisante ou peinture réaliste de la vie sur l’île ? Il faut dire que la façon dont Haïti est présenté en Occident n’est pas forcément reluisante. Associée aux catastrophes naturelles et à la pauvreté, l’île a pourtant bien plus à offrir, comme a pu le prouver la bande dessinée Trou Zombie.
Entre contemplation et agitation
Le dessin (exclusivement en noir et blanc) est remarquable dans cette œuvre, il rend compte très intelligemment de la place que chacun des auteurs va occuper dans ce voyage. Chacun leur tour ils vont prendre en charge le récit et croquer Haïti et leurs rencontres. Cela est véritablement pertinent et donne un sens à la collaboration. L’un opte pour un style assez réaliste, aux nuances de noir et blanc, assez poétique. L’autre en revanche va montrer un trait plus tranché, uniquement en noir et blanc et rappelant presque par moment la technique de la linogravure.
Cette transition, d’un auteur à un autre se fait naturellement et permet de saisir la complexité du lieu : à la fois majestueux et sauvage par sa végétation mais aussi agité et bruyant par la vie de la ville. Jacmel, personnage à part entière de l’œuvre, la dépeint avec beaucoup de nuances et de sensibilité.
De la visite de la ville à la découverte du vaudou
Le récit est ici très personnel. Les protagonistes concentrent leur récit bien plus sur leur expérience que sur la culture dans laquelle ils sont plongés. Cependant les auteurs, en assumant avec humour leur statut de touristes et en expliquant ce que cela change à leur rapport avec la population, rendent souvent leurs pérégrinations amusantes.
De plus, cette approche permet aussi de laisser place aux sensations que procurent cette ville : les odeurs, les bruits et les façons de vivre. L’épisode du Carnaval, plein de ferveur, par exemple montre l’opposition qui va se jouer durant toute l’œuvre : une ville animée, dansante et bruyante et deux personnages suffocants, à la limite de la panique.
Ce qui peut frapper en revanche c’est qu’il y a souvent derrière tout cela une recherche constante d’un exotisme, comme si les Haïtien·nes étaient un mystère à percer pour ajouter à son bingo des vacances. La sincérité est évidente mais peut déranger car elle est à s’y méprendre avec de la curiosité mal placée.
Le vaudou tient une place centrale dans la culture haïtienne. Grégoire Carlé et Sylvestre Bouquet sont sans cesse dans une recherche de l’expérience surnaturelle, une manifestation des croyances. On y voit une curiosité non feinte et accueillie avec bienveillance par les personnes qu’ils croisent. L’un d’eux raconte par exemple comment il a participé à une séance de transe sans vraiment s’en rendre compte. Les scènes lors de la cérémonie sont très belles, on assiste à quelque chose d’inédit car ces pratiques ne sont pas du tout valorisées en Europe et relativement inconnues.
Un carnet de voyage légèrement européano-centré
Aujourd’hui, Haïti souffre de représentations négatives, que ce soit dans les médias ou dans l’imaginaire collectif qui a formé une image de souffrance et de pauvreté autour de l’île. Cela est d’autant plus vrai après les catastrophes sismiques de ces dernières années.
La question est de savoir quelle place tient Trou Zombie dans cette représentation. Il n’est pas question de remettre en cause l’investissement et l’honnêteté qu’ont mis les deux auteurs dans leur œuvre mais de savoir s’il n’y a pas là une partie du récit influencée par les croyances européennes.
La façon parfois grossière de représenter les Haïtien·nes par exemple découle d’un imaginaire européen et tend à montrer des personnes stéréotypées qui peuvent déranger. Cela tranche aussi avec la mise en avant du créole qu’opère les deux auteurs. Ainsi nous oscillons entre reprise d’une manière de représenter qui a fait son temps et découverte authentique d’un nouvel endroit.
Les deux auteurs témoignent néanmoins du mépris que peuvent avoir les Européen·nes pour les habitants de l’île, qui se sont installé·es là bas et qui exigent d’être traité·es comme une catégorie de population supérieure.
Finalement, il ne faut pas prendre Trou Zombie pour un description objective de cette île mais plutôt comme le ressenti de deux occidentaux, pétris d’idées reçues et en quête de sensations.
Ce n’est pas une critique en soi. Il ne faudrait simplement pas croire que les auteurs ont un regard tout à fait détaché sur ce peuple et ses coutumes.
Il y a dans cette bande dessinée quelque chose de touchant et de vrai, les dessins y sont très beaux et peints avec beaucoup de sensibilité. Seulement n’espérez pas y trouver une thèse anthropologique sur Haïti : il s’agit là d’un carnet de voyage.