« Pourquoi rejoindre la marine quand on peut être un pirate ? » J’ai longtemps eu du mal à comprendre cette phrase.
La réponse à la question était simple et Hobbes l’avait déjà comprise au XVIIème siècle. Dans Léviathan, il expliquait comment chacun·e abandonnait sa liberté au profit de l’État. Cependant, on n’échange pas les sabres et la contrebande contre un monstre froid sans raison. Le but était la .:*:✼✿ s u r v i e ✿✼:*:. Aujourd’hui, force est de constater que vivre off-the-grid, ne se fait pas sans un certain abandon de son confort et donc quelque part de sa liberté.
Soit.
Et pourtant, biberonné·es dans une matrice quasi-spinozienne de (non-)choix imposés par une nation informe et inexistante, le pouvoir est-il la solution ? Pas toujours. Aujourd’hui plus que jamais l’occupation des facultés, nous le montre.
Démonstration par le fait
~ Orelsan – Raelsan (quand il était encore bon)
C’est en fait précisément parce que le grand saut hors du système et des structures étatiques est effrayant qu’il est nécessaire de prouver par l’exemple qu’il est possible. Que l’utopie est à portée de main.
Utopie en vidéo
Si la tentative d’occupation de la faculté de Bordeaux s’était soldée en 2016 par des dommages regrettables, rien ne dit que l’occupation est vouée au chaos et à l’échec. « L’anarchie c’est l’ordre sans le pouvoir », comme le disait (le quelque peu détestable) Proudhon.
Se rendre en fac autogérée c’est aussi se rendre compte qu’il n’y a pas besoin de bibliothécaires pour avoir une salle d’étude silencieuse, qu’il n’y a pas besoin de « femmes de ménage » pour que celui-ci soit fait, que des WC peuvent être plus propres lorsqu’ils sont entretenus par ses usager·es, qu’au moment de se nourrir, la solidarité existe, qu’il n’y a pas besoin de professeur·e pour faire cours, ni du statut d’élève pour y assister ; que l’autogestion c’est l’organisation.
Parce que c’est notre projet
~ Alain Damasio – Journal intime
Grande cynique, j’avais aimé #NuitDebout en ce qu’elle n’aboutirait à rien de concret dans l’immédiat (certain·es eurent l’air surpris…). Qu’il était prenant de voir cette personne réclamer un changement radicale de société – comme moi – et pensant que parce qu’on était 30 de plus qu’hier, nous serions 5 000 demain prêt·es à prendre les armes pour instaurer une taxe Tobin – pas comme moi.
L’autogestion était bien présente. On savourait un smoothie de fruits invendus en écoutant les bienfaits des circuits courts sans intervention étatique. Mais après ? Nuit Debout n’était ni une fin, ni un moyen, simplement une parenthèse d’espoir fabuleuse.
Certes, comme à Nuit Debout on s’autorise en amphi un rêve général. Et si on écrivait nous-même le texte de loi sur la réforme de l’Université ? De quoi se donner un peu d’espoir et avoir une solution clé en main au cas où…
Mais en réalité le projet est plus vaste. D’Assemblées Générales en AG, se dessinent aussi un peu plus les solutions pratiques que collectivement, nous devons trouver. Contrairement à Nuit Debout, on réfléchit aussi aux moyens dont on veut se doter : continuer le blocage ? Organiser une manif ? Avec qui ? S’affutent aussi les arguments, histoire de convaincre les passant·es et étudiant·es indécis·es ; de mobiliser les affects.
Se développent donc les solutions, les convictions mais aussi les moyens de « propagande » (en son sens noble) et d’action.
Dans l’amour, dans la haine, dans la moyenne
Toujours en cercle serré, toujours debout
Peut-être est-ce d’ailleurs là un problème… Plus qu’un éventuel clivage gauche/droite c’est la légitimité d’un pouvoir en tant que tel que les débats interrogent. Les AG sont souvent longues, les débats parfois sans grand intérêt (quoique nécessaires…). Parfois aussi on n’est pas d’accord sans pour autant le dire. Et pourtant, on peut préférer ça à l’imposture représentative.
Occuper c’est aussi s’interroger sur la forme-même que doit prendre notrepouvoir. Doit-on accepter les anti-blocusards dans nos amphis ? Comment fixer le planning ? Reproduisons-nous les schémas que nous critiquons ? Doit-on laisser la place aux « réponses directes » ? Que devons-nous communiquer ? Quand est-ce qu’une AG est démocratique ? Se congratule-t-on trop ? Doit-on s’imposer des règles ? Devons nous parler plus d’actions ? Est-ce que parce que l’on a barricadé des entrées nous bloquons la fac ? ou est-ce la faute de l’administration qui a déclaré la fermeture administrative de la BU et des locaux ? Quel dialogue entretenir avec celle-ci ? Autant de questions à se poser et qui ne trouvent pas toujours directement de réponses ou d’écho.
Mais c’est peut-être là tout l’intérêt d’une AG, être critique quant à son propre mode de décision. Assumer ses faiblesses et ne pas les masquer, ne pas s’en offusquer. En somme, il faudra sans doute du temps et des tâtonnements pour savoir comment s’organiser, savoir qui nous sommes (voire s’il y a un nous unitaire).
Occuper n’est pas bloquer ; vers une occupation durable ?
Et pourtant, comme pour Nuit Debout, la barricade devra bien cesser un jour. On l’a vu à Montpellier, on le verra sans doute bientôt à Toulouse, le blocage ne peut être que précaire. Mais l’occupation, elle, peut vivre indéfiniment.
Le blocage se fait en protestation contre un pouvoir indigne ; l’occupation, elle est constructive. Le 1er empêche d’étudier, la 2ème aide les gens à comprendre qu’ils ne pourront plus le faire longtemps dans ces conditions. On l’a vu, des conférences, des discussions, des rencontres et des festivals se tiennent même sans administration.
C’est donc à ce moment qu’on se demande si une occupation permanente n’est finalement pas souhaitable. Serait-il fondamentalement mauvais en démocratie de laisser un amphithéâtre ouvert à tou·tes (excepté les casseurs) pour que les citoyen·nes puissent s’organiser, débattre et réfléchir ensemble ?
Si pour le moment, l’heure est à l’action (la barricade est à elle seule une action contre le gouvernement), pourquoi ne pas pérenniser l’action une fois le « retour au calme » obtenu ? Pourquoi n’est-ce qu’après un blocage que l’on daigne nous proposer des espaces de débats ?
Les commentateurs politiques n’hésitent plus à citer Tocqueville qui pointait du doigt au XIXème siècle le désintérêt des masses pour la chose publique. Pourtant, à Bordeaux comme ailleurs, les programmes sont chargés et le public toujours au rendez-vous. Occuper c’est un moyen de politiser et de recréer une cohésion, une volonté de vivre ensemble ; c’est donner de l’espoir.
Alors en nage et à bientôt sur le bateau.
Fleur ❀, moussaillon anonyme et amie.