Pourquoi y a-t-il des inégalités entre les hommes et les femmes ? La BD réponse

Que d’attentes devant un titre si prometteur. Cette petite bande dessinée de Soledad Bravi et Dorothée Werner, parue aux Editions Rue de Sèvres, va t-elle enfin répondre à cette question qui divise les foules, Pourquoi y a t-il des inégalités entre les hommes et les femmes ? 

Une approche chronologique

Le constat est assez éloquent à la sortie d’une telle lecture : de toutes les époques il y a eu des inégalités criantes dans toutes les sociétés. La narration est chronologique, débute à la préhistoire et traverse plusieurs ères pour arriver à notre époque.

On apprend par exemple à travers ce voyage temporel qu’une femme au XIXème siècle (sous le code civil de Napoléon) risquait jusqu’à 3 ans d’emprisonnement pour un adultère tandis que son mari écopait d’une amende, seulement s’il ramenait sa maitresse au domicile conjugal ! L’œuvre est truffée d’anecdotes sur les règles de vie que l’on imposait à la gente féminine. La plupart nous semblent aujourd’hui ridicules mais cette bande dessinée a le mérite de rappeler que ces lois et ces mœurs ont été à un moment prises très au sérieux.

Au delà de l’aspect léger, induit notamment par le dessin, Pourquoi y a t-il des inégalités entre les hommes et les femmes ? propose donc un véritable parti pris, celui de raconter comment les institutions ont participé sciemment à maintenir une inégalité en faveur des hommes.

Un plaidoyer en faveur des droits des femmes

Bon nombre des figures féminines importantes qui ont marqué l’Histoire des luttes d’émancipation sont évoquées. Ce ne sont parfois que des clins d’œil, comme avec Simone de Beauvoir, mais ce sont aussi parfois de petits résumés sur des périodes marquantes, à l’instar de la lutte pour le droit à l’avortement menée par Simone Veil. Au delà de ces figures populaires et reconnues, les autrices racontent également des périodes moins reprises par le corpus populaire européen. La condition des femmes noires aux Etats-Unis est ainsi rapidement évoquée tout comme les noms de Billie Holiday (une chanteuse de jazz aux textes engagées), Harriet Tubman (une esclave qui a réussi à s’échapper et à faire s’échapper d’autres camarades) ou encore Angela Davis (célèbre militante antiraciste).

Ce rapide récit narre donc les mœurs qui ont traversé les époques et les pays, et montre qu’il y a toujours eu une société patriarcale mais qu’il y a également toujours eu des femmes pour tenter de désobéir. C’est un récit plutôt optimiste, qui rappelle pourquoi parler de sexisme est encore et toujours d’actualité.

Pourquoi une bande dessinée ?

L’œuvre est plaisante et se lit facilement. Le trait de Soledad Bravi, est assez simple. Il fait penser au dessin de presse car assez vif et qui traduit tout de suite le sentiment, l’idée exprimée.

En revanche, dans l’œuvre, il n’y a pas de changement de rythme. Chaque page est composée de la même façon : quatre dessins accompagnés d’un texte, ni plus ni moins. On peut regretter qu’il n’y ait pas autant de dynamisme sur les illustrations que dans le projet en général qui se veut aventureux. Ce dessin simple et efficace, il faut le dire, serait idéal pour de courtes planches, ce qui découperait cette œuvre en épisodes. Ici le format lasse à l’échelle d’un album entier.

Cela vient aussi poser la question de la complémentarité du dessin et du texte en bande dessinée. En effet, la bande dessinée associe deux arts, sans en négliger un.

« Du texte à l’image et de l’image au texte, les informations ne sont pas redondantes mais se complètent et se poursuivent. C’est par exemple le rapport qui unit le dessin et le dialogue dans la bande dessinée. » 

Annette Béguin-Verbrugge1

Dans Pourquoi y a t-il des inégalités entre les hommes et les femmes ?, le texte existe assez indépendamment du dessin. Ils cohabitent mais ne s’enrichissent pas l’un l’autre. Les illustrations sont la plupart du temps un mimétisme de l’écrit ou une touche d’humour, mais il n’y a pas de plus value à ce que, ce qui est raconté le soit à travers le médium de la bande dessinée.

 

La pertinence d’un récit historique

La volonté qui ressort de cette bande dessinée est celle d’apporter un regard historique. Les autrices racontent les oppositions, les avancées et les réflexions qui ont traversées des siècles d’Histoire française (mais aussi mondiale) dans les luttes des droits des femmes. Et c’est bien là que repose la force mais aussi la limite de l’œuvre : on raconte mais on n’explique pas. Ce livre est fait pour celles et ceux qui s’intéressent au sujet et qui veulent faire un rapide tour d’horizon de la question.

Nous pouvons pointer du doigt certaines grossièretés, omissions (à la vue d’un tel projet, le contraire aurait été étonnant, il faut le dire).

On s’intéresse à l’Histoire collective et de nombreux destins (individuels) sont esquissés tout au long de l’œuvre. Il n’y a pas d’analyse derrière ces choix et pourtant nous pouvons questionner leur pertinence.

On expose par exemple, dans le chapitre qui s’intéresse aux avancées entre les années 1975 et 2000, la loi sur la parité ou encore l’évolution sur le congé paternité. Au même titre est présenté un évènement comme l’accession au poste de chancelière d’Angela Merkel en 2005. Loin de moi l’idée de dire qu’une femme au pouvoir n’est pas une avancée. Néanmoins, que signifie cette élection dans la lutte d’émancipation des femmes ? Angela Merkel œuvre t-elle pour une politique plus égalitaire ? Propose des mesures qui précariseront moins les femmes ? Nous ne le saurons pas, du moins pas en lisant cette bande dessinée, car son rôle n’est pas d’apporter des analyses politiques. Le statut de femme d’Angela Merkel suffit à faire d’elle une icône symbolisant le progrès, qu’importe ses idées.

Cet exemple est assez parlant sur la façon dont on raconte l’Histoire. On présente de la même façon l’interdiction de porter des signes religieux à l’école, au collège et au lycée public comme une mesure positive, sans en questionner les motivations. On n’apporte pas une explication sur cette sélection d’évènements montrés comme « progressistes ». Cela détone avec la volonté première de raconter les injustices de l’Histoire, et de tenter de le faire de façon objective.

 

Conclusion

L’œuvre n’est pas exhaustive, mérite des précisions et est parfois simpliste. Néanmoins elle dresse avec succès un récit vivant des luttes pour l’égalité. Elle s’adresse aux gens qui commencent à s’intéresser au féminisme et remplit très bien son rôle de vulgarisateur. Les critiques que l’on peut adresser à cette bande dessinée n’enlèvent rien à ses intentions nobles et à son envie de faire avancer le débat mais elles nous rappellent néanmoins que raconter l’Histoire n’est pas neutre.

 


1 : Images en texte, images du texte : dispositifs graphiques et communication écrite, Presses universitaires du Septentrion, 2006, p. 30

Dessin
60
Scénario
80
Vulgarisateur
70
Portée politique
55
Les points positifs
Un bel engagement
Vulgarisateur efficace
Les points négatifs
Peu de réflexions autour du contexte politique
Pas de changement de rythmes dans la forme
66
Note finale