Les éditions Lapin publient aujourd’hui une bande dessinée signée Tanx. Dicon est un dictionnaire gentiment absurde et furieusement grinçant. Retour sur une œuvre et une artiste qui interpellent.
Qui est Tanx ?
Il semble nécessaire de faire un détour par l’univers de Tanx tant il est particulier. Tanx est une artiste multidisciplinaire qui fait de l’illustration, de la gravure, de la sérigraphie, des scénarios, des fanzines et encore bien d’autres choses. Une artiste à l’œuvre aussi riche que surprenante.
Cerner Tanx est difficile. Essayer de parler de son art encore plus. On a très vite l’impression qu’elle va débarquer pour nous en coller une et dire qu’on a mal compris qui elle était.
Elle se démarque par ses coups d’éclats (politiques et artistiques). Elle parle énormément de la précarité des artistes et en a fait un cheval de bataille. Lors de l’inauguration du Festival d’Angoulême de 2016, Fleur Pellerin a eu la bonne idée de décerner à 8 créateurs/ices de bande dessinée une promotion exceptionnelle des Arts et Lettres. Voilà ce que Tanx a écrit à ce propos sur son blog,
« Mon engagement est celui des prolos. Et ma culture est aussi celle des prolos, loin des salons feutrés, des cocktails à la con et des titres honorifiques, de l’état et de ses singeries. On continuera à rigoler comme des godasses [… ] entre nous, et on trinquera à notre culture, celle qu’on bâtit, qu’on porte et qu’on défend malgré le ministère et des conditions de survie qui sont les nôtres. J’ai trop de respect pour l’engagement, trop d’amour pour la culture qui me tient debout, et j’ai trop les pieds dans la merde pour être éblouie par du fer-blanc. Chevalier mon cul, que crève l’état et son ministère. »
Cette bordelaise d’adoption n’aura de cesse de critiquer l’embourgeoisement de sa ville et les tentatives de la municipalité d’instrumentaliser l’art underground jusqu’alors vivement critiqué.
Sa position sur la place de l’artiste est complexe et n’est pas habituelle. Elle se définit d’abord comme une travailleuse et explique qu’aujourd’hui l’art est amoindri par les conditions matérielles de production des créateurs/ices (et du public également).
Nous ne pouvons réduire Tanx à sa pensée politique car son œuvre est riche, étonnante, attirante et se suffit à elle-même. Néanmoins ses réflexions sur le statut d’artiste mettent en lumière de nombreuses problématiques qui se posent actuellement dans le monde de la bande dessinée, de l’illustration et du travail créatif plus largement.
Un style brut
Inimitable et percutant, voilà comment nous pourrions qualifier le style de Tanx. Ses dessins se démarquent dans la scène artistique actuelle par leur côté brut.
Qu’est ce que la bande dessinée underground ?
Difficile de ne pas voir les influences de Tanx comme la mouvance underground qui nait aux Etats-Unis. La bande dessinée dite « underground » ou même « alternative » prend racine dans les années 1960-1970 et fait la promotion de sujets provoquants, allant à l’encontre des mœurs de l’époque.
« Le mouvement hippie et sa contre-culture psychédélique, refusant la guerre du Vietnam, prônant l’amour libre et l’usage de stupéfiants, est le terreau sur lequel se développe, sur la côte ouest des États-Unis, la bande dessinée dite underground, dont Robert Crumb (Fritz the Cat, Mister Natural) sera le chef de file. Tous les tabous de la société américaine sont mis à mal dans des comix autoproduits (notez l’orthographe déviante) qui font scandale. Pour la première fois, le savoir-faire graphique importe moins que la personnalité de l’auteur, la force et l’authenticité de son propos[1]. »
Ces sujets (politique, religion, sexualité, violence) sont provocants, nouveaux, ils s’affranchissent de la « bien-pensance » de l’époque et sont le témoin d’une voix qui se veut personnelle. Ce mouvement encourage également les auteurs/ices à devenir plus autonomes et indépendants, ce qui donnera naissance à de nouveaux modes d’édition et de format (apparition du fanzine par exemple).
On pense à Clowes ou encore à Julie Doucet, une bédéiste québécoise dont le travail s’éloigne totalement de la production féminine émergente, à savoir la bande dessinée girly.
La place du monstrueux
Son nouvel ouvrage Dicon montre un trait comme à l’accoutumé assez sombre, en noir et blanc uniquement et rappelle sans aucun doute son autre occupation, la gravure.
Le monstrueux est souvent présent dans Dicon, au service d’un message parfois drôle, intriguant aussi. Le dessin est désarmant car il mêle des situations quotidiennes à des transformations et positions dérangeantes. Le savant mélange entre normalité et bizarrerie, lié par un style fort font de Dicon une œuvre résolument unique.
De l’absurde au politique
Dans Dicon, Tanx joue avec les mots, elle s’en amuse en donnant à des terme un sens tout autre. Ces aller-retours permanents entre imagerie et sens formel donnent un mélange amusant devant lequel il est difficile de ne pas sourire.
L’œuvre se présente comme un dictionnaire. Chaque page est composée d’un mot, sa définition et un dessin correspondant.
Le sens est souvent absurde car Tanx prend littéralement les mots au pied de la lettre, elle les tord et les assemble avec brio. Son dictionnaire est poétique, on se laisse aller à la découverte d’un nouvel univers, aussi déraisonnable soit-il.
La double lecture est évidente mais pas obligatoire. On peut s’amuser simplement des planches mais l’on peut également apprécier le message, plus piquant, que laisse l’autrice. Les définitions font échos à l’actualité ou plus généralement témoignent de l’engagement politique de Tanx.
Dicon est une œuvre distrayante. Elle rend légère des sujets qui ne le sont pas forcément et sort des sentiers battus dans la bande dessinée française actuelle. C’est aussi l’occasion de (re)découvrir Tanx, une artiste unique en son genre.
Annexe
- En savoir plus le roman en gravure : http://neuviemeart.citebd.org/spip.php?article564
- Thierry Groensteen, « 1833-2000 : une brève histoire de la bande dessinée », Le Débat 2017/3 (n° 195), p. 51-66. DOI 10.3917/deba.195.0051 ↑