Cannes 2018 : ne pas se fier aux apparences (2/4)

Cannes nous avait appris que la poétisation de l’existence pouvait aussi bien passer par un retour aux sources que par une histoire d’amour poétique semblable à un éternel recommencement. Aujourd’hui, voyons comment les apparences, l’hypocrisie et la théorie du complot se font leur place au Festival, pilier d’une industrie qui use de ces outils (indispensables pour survivre).

Tout le monde sait… tout

C’est le titre du dernier Asghar Farhadi : Todos lo saben, film hispano-franco-italien qui voit la neuvième collaboration du couple-star Penelope Cruz/Javier Bardem. Un thriller où Laura revient dans son village natal pour le mariage de sa sœur, retrouvant au passage Paco, son ancien amant devenu ami. Tout se passait pour le mieux, jusqu’à ce que la fille de Laura, Irene, soit enlevée. Le suspense se fait alors autour de la demande d’une importante somme d’argent pour qu’elle soit rendue saine et sauve.

Todos lo Saben réalisé par Asghar Farhadi [Cannes 2018 ...

La force de ce film ne réside pas dans le scénario. Comme plusieurs dans la salle, ma déception s’est faite sentir quand on découvre les fils sous-jacents de l’affaire, la simplicité du script, nous qui étions transportés, qui échafaudions tous les plans possibles, qui soupçonnions tous les personnages depuis deux heures. Cependant, on comprend peu à peu que l’intérêt n’est pas là. L’intérêt, c’est moins l’intrigue que les ressorts des relations entre les personnages : les interprétations, propres, impeccables, de Javier Bardem en paysan droit dans ses bottes, de Penelope Cruz en mater dolorosa et de Ricardo Darín (Alejandro) en mari méprisé et dépassé, sont bouleversantes.

Todos lo Saben réalisé par Asghar Farhadi [Cannes 2018 ...

Ne pas se fier aux apparences, c’est-à-dire à l’hypocrisie de relations où les non-dits et les tensions forment la toile de fond de retrouvailles de famille, où tout le monde accepte tacitement les règles de la vie en société. Ce qu’a fait Farhadi, c’est mettre des mots, des images, des plans rapprochés, sur les explosions de sentiments qui déchirent une famille de l’intérieur, qui mettent au jour ce qu’on cachait par politesse, ce qu’on taisait par peur du conflit. « Todos lo saben », ce n’est pas une histoire d’enlèvement, c’est une histoire de famille qui lève le voile.

Les yeux ouverts sous l’eau, Under the Silver Lake

David Robert Mitchell (It Follows, …) a fait fort avec Under the Silver Lake. S’inspirer à la fois de David Lynch (les plans de Los Angeles, les situations étranges) et de Hitchcock (la tension, le suspense du polar), pour livrer sa propre vision d’un Los Angeles à l’allure sectaire, dans un délire complotiste peuplé de paillettes et de contes d’horreur dont les secrets se cachent dans les boîtes de céréales, c’était ambitieux, et selon moi, ce fut réussi. Un film explosif, qui fait ressortir de la salle le sourire aux lèvres, avec la douce impression que tout n’a pas été saisi, mais d’avoir assisté à quelque chose de grand.

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C’est une perle de la Sélection Officielle de Cannes. Un film qui assume son côté déjanté, qui emporte le spectateur, même s’il ne comprend pas tout à l’intrigue. On est avide de suivre Sam (interprété par un génial Andrew Garfield) dans sa recherche désespérée de sa voisine très attirante, qui a déménagé de façon mystérieuse une nuit comme les autres, juste après avoir rencontré le jeune homme.

Sa quête va le faire plonger au cœur des soirées mondaines de Los Angeles, dans des hauteurs parfois vertigineuses, quand elles sont associées à des meurtres, des machinations politiques ou des idéologies fanatiques. « Fuir hors de ce monde de fou », tel semble être l’objectif suggéré par l’un des personnages à la fin du film.

New Images of Andrew Garfield In UNDER THE SILVER LAKE ...

Les couleurs font du quartier de Silver Lake, construit autour des premiers studios du cinéma muet, un quartier où les déçus de l’industrie cinématographique hallucinent sur des soi-disant signes pour essayer de vivre leur vie comme un film. La théorie du complot est omniprésente, les références à la pop-culture aussi. Le propos d’Under the Silver Lake, c’est de parler de ces gens qui s’inventent une autre réalité pour avoir l’impression d’exister. C’est aussi accepter de n’être qu’une personne normale dans un monde de stars… ou de partir à la conquête des paillettes, quitte à déterrer des mystères qui donnent une image glauque à la colline et ses lettres HOLLYWOOD. Suivre Sam dans son délire paranoïaque, c’est accepter de laisser certaines choses incomprises à jamais.

C’est tout pour aujourd’hui ! Rendez-vous au prochain article, qui parlera de Capharnaüm de Nadine Labaki, fresque suivant l’histoire d’un jeune garçon dans les rues de Beyrouth, et de Three Faces de Jafar Pahani, enquête sur le suicide d’une jeune fille iranienne qui voulait devenir actrice.