Lorsqu’au dernier Festival de Cannes, Blackkklansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan remporta le Grand Prix du Jury, on ne pouvait s’empêcher d’avoir une certaine appréhension. Était-ce (encore) un prix récompensant avant tout le thème de l’œuvre ? Le jury, dans une logique de bien-pensance hypocrite, se serait-il emporté pour ce film au seul motif qu’il traite de la place de la communauté afro-américaine dans l’histoire étasunienne ? Aurait-on la même déception que face à Moonlight (Oscar du meilleur film en 2016) dont la victoire est surtout due à son sujet (l’homosexualité dans la misère des ghettos) ? Et bien non. En sortant de Blackkklansman, le sentiment d’appréhension est balayé pour laisser place à un état de choc. On prend conscience que ce qui a été projeté à l’écran durant deux heures ne fut pas qu’un très bon film, mais aussi une œuvre importante et nécessaire.
L’histoire folle de Blackkklansman
Le synopsis est inspiré d’une histoire vraie et complètement folle. Dans les années 70, un jeune flic afro-américain prend contact avec la section locale du Ku Klux Klan pour l’infiltrer. Ron Stallworth (notre héros) élabore alors un osé mais astucieux stratagème. Alors qu’il s’occupera d’étoffer les relations avec le Klan par téléphone, son collègue Flip Zimmerman se fera physiquement passer pour lui auprès de ces dangereux extrémistes. Tout ceci dans le but d’anticiper d’éventuelles actions de la secte, et éviter que la situation ne dérive en « guerre civile ». Car oui, les différents membres de l’organisation sont tous des fanatiques dont la haine semble être le moteur. Si certains tapissent leurs violence derrière un ton diplomate et hypocrite, d’autres sont prêts à tout pour purifier l’Amérique de la « pourriture nègre et juive ». Et s’ils se contentent au début de se réunir pour brûler des croix et tirer à la cible, très vite les ambitions de certains se font plus grandes…
Des acteurs géniaux
Pour les incarner, Spike Lee s’est doté d’un excellent casting. Les acteurs jouent leur rôle avec justesse et précision, et savent alterner entre des moments relativement comique et « feel-good » et des séquences beaucoup plus dures. John David Washington est pétillant dans son rôle du flic ambitieux habité par sa cause. Adam Driver, lui, montre une fois de plus l’étendue de son talent. Les personnages des fachos du KKK sont aussi interprétés à merveille. On pense notamment à Jasper Pääkkönen (Félix dans le film), qui livre une partition démente, prête à prendre feu à chaque instant.
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Une réalisation léchée
A partir de cette base scénaristique, Spike Lee arrive à développer une histoire riche et prenante. Même si le réalisateur prend son temps pour développer la psychologie de ses personnages, le film reste très bien rythmé. Les rebondissements sont nombreux et la mise en scène à la fois dynamique et fluide. Cette dernière sait faire ressentir l’effet comique de certaines situations, ou au contraire la tension palpable d’autres moments. Le scénario a beau fuser dans tous les sens, il arrive tout de même à garder une unité globale sans fioriture.
Enfin, la photographie apporte une touche de fraîcheur au film. Ce dernier baigne dans de vives couleurs (rouges et orangées la plupart du temps) qui apportent un certain éclat à l’esthétique globale. Bref, visuellement, c’est délicieux, le genre de friandise qui fond doucement dans la bouche.
Un message fort
Mais ne réduisez pas Blackkklansman à une tendre comédie tournant en ridicule le KKK et se contentant de véhiculer de belles valeurs humanistes et tolérantes. Le film reste dur, âpre, et n’a pas peur des mots lorsqu’il faut décrire l’horreur de la discrimination raciale. Le but de Spike Lee est clair et net : montrer que les Etats-Unis est une nation fondée sur une haine sanglante, et que derrière la glorieuse histoire souvent mise en avant se cache d’innombrables massacres et formes de discriminations.
Quelques clins d’œils…
Pour arriver à son but, le réalisateur américain va notamment s’en prendre à des piliers du cinéma américain. En effet, le film débute sur un plan d’Autant en emporte le vent. De ce point de départ, Spike Lee va progressivement déconstruire les idéaux du film, démystifiant le mythe sudiste. Puis il s’attaque à un monument du cinéma (qui a largement contribué à le révolutionner), Naissance d’une Nation de Griffith. L’œuvre a beau être géniale sur le plan cinématographique, elle reste abjecte dans ces valeurs. En démolissant ces icônes de l’histoire du cinéma américain, il arrache le masque des vrais fondements de cette nation : la haine.
Mais là où le film est glaçant, c’est qu’il nous fait bien comprendre que cette haine (du KKK, de la discrimination raciale ou sexuelle) reste fortement gravée dans la société actuelle avec des mouvements comme l’alt-right. Les images d’archives d’une rare violence, montre que fuir les démons du passé est inutile. Cette folie destructrice qui stigmatise la différence reste fortement présentes aujourd’hui, parfois jusqu’à l’excès.

On sort de la salle sous le choc, bouillant de rage, tremblant d’impuissance. Blackkklansman n’est pas un film sur le racisme des années 1970. C’est un film sur aujourd’hui. Le progrès est peut-être passé par là, mais l’homme reste animé par les mêmes pulsions. « La peur mène à la colère, la colère mène à la haine » comme disait Maître Yoda.