On l’avait compris, le concept de « dystopie » est fondamentalement vain. Ce ne sont jamais que des utopies considérées arbitrairement comme non souhaitables. Mais dans ce cas, quelle science-fiction écrire ?
Dépasser la description de la dystopie : Transmetropolitan de Warren Ellis
Le cyberpunk (comme le mouvement dystopique) a montré ses limites. Le courant artistique décrivant des sociétés où plus personne n’a de repères ni même de possibilité d’évoluer hors des sentiers se meurt de son fatalisme. Les auteurs dressent des portraits de sociétés tellement injustes qu’ils en oublient de réfléchir plus concrètement aux moyens de les changer.
En réaction, de nombreux auteurs considèrent maintenant le post-cyberpunk avec plus ou moins de succès. Warren Ellis avec Transmetropolitan en fait partie. Alors que la société dans laquelle évolue Spider Jerusalem est clairement puante, l'(anti ?)héros va chercher à la changer. Il n’est, ici, plus question de faire le blâme d’une dystopie mais de voir comment y vivre et la faire vivre.
Bien évidemment, l’auteur interroge toujours les formes de (contre)pouvoir, les rapports de dominations, nos biais, la cybernétique, dressant une analyse transversale de l’avenir de notre façon de vivre. Mais il va plus loin.
Deux problèmes demeurent cependant.
En voulant sortir le héros de sa passivité, ces fictions tombent parfois dans l’excès inverse et perdent ainsi en crédibilité. À en lire certaines, la seule volonté du héros suffirait à faire basculer la civilisation du bon côté. Reflet d’une triste vision paradoxalement utopique.
Deuxièmement, reste un certain jugement de valeur. Dans Transmetropolitan, Jerusalem n’est pas parfait mais on sent quand même qu’il a choisi le bon côté. Du moins, l’impression qu’il y a des méchants et des gentils est bien présente.
Apparaît alors l’œuvre de la Synthèse : la Zone du Dehors.
Dépasser l’utopie : La Zone du Dehors d’Alain Damasio
Au commencement, il y avait une société démocratique. Et c’est assez beau. Alain Damasio montre que le cauchemar peut aussi être démocratique. Pour ce faire, il prend la pleine mesure de la démocratie en Amérique et nous livre une vision d’un 2084 tel que l’aurait prédit Tocqueville. Le peuple s’est désintéressé de la chose publique, ce qui permet à une minorité représentant la majorité d’imposer sa vision des choses. En parallèle, Cerclon (l’État-cité) est aussi morne que morte. Le divertissement et les relations interpersonnelles n’existent plus en dehors de la sphère marchande.
C’est dans ce contexte que Captp (le personnage principal) rêve d’une chose : la Volution. Il ne s’agit en effet pas d’une ré-volution, c’est-à-dire un changement contre, mais plutôt d’un changement en parallèle. Là, apparaît tout le génie de l’œuvre : avoir compris ce que l’on ne retrouve jamais dans les autres utopies/dystopies. Il y a autant de façons de concevoir une cité idéale que d’individus. Si Captp ne supporte pas les agressions publicitaires omniprésentes, les humains sont eux, très contents de découvrir les nouveaux super-marchés.
« Ce monde n’est pas le tien
Non t’en as pas besoin »
Jordee – IOR
Dès lors, il est vain de vouloir imposer son modèle de vie. Pire que ça, les utopies en deviennent des dictatures. Les membres de la Volte refusent de vivre dans une société qui n’est pas la leur, autant que les habitants de Cerclon refuseraient de s’affranchir de leur sécurité.
En ce sens, Robert Nozick prône dans Anarchie, État et utopie la création de méta-utopies. Comprenant que le paradis des uns est l’enfer des autres, l’auteur libertarien propose une compétition entre différents modèles d’utopies comme le fait en filigrane Alain Damasio dans son livre.
Solution
Qu’écrire alors ? Il s’agit en fait de chasser l’hypocrisie. L’auteur a besoin de prendre conscience de sa propre limite. Il doit se rendre compte que centrer un récit sur une description manichéenne de la société n’est qu’une manière de dire « je sais pour vous ce qui est le mieux/le pire ».
« Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or, qui chez des nations policées, est d’une si grande conséquence. »
Montesquieu – De l’esclavage des Nègres
Au XVIème siècle, Montaigne et Montesquieu prônaient le relativisme culturel. Il faudra finalement cinq siècles pour admettre qu’imposer sa vision de la société idéale, fut-elle si démocratique, c’est encore imposer sa vision.