The Happy Prince

Oscar Wilde : dandy honni, poète révolutionnaire méconnu

Il y a 165 ans jour pour jour (le 16 octobre 1854), naissait Oscar Wilde. Si on le connaît pour son extravagance, sa plume et son procès, l’idéal politique de l’écrivain, poète et dramaturge irlandais est, lui, plus méconnu.

En 1891, un an après le retentissant Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde développe dans L’âme de l’homme sous le socialisme sa conception de l’individualisme, de la politique et de l’art.

Cet essai corrosif est une œuvre méconnue, touchante et personnelle dans laquelle il dévoile ses utopies politiques. Entre utopie artistique et esclavage mécanique, 165 ans après la naissance de son auteur, cet ouvrage questionne les fondements de nos sociétés.

À la fois socialiste et individualiste

Le lecteur comprend dès la première phrase du livre qu’il ne s’agit pas d’un plaidoyer en faveur du « grand soir ». Bien loin de la lutte des classes et de l’État collectiviste qui en découlerait, le socialisme prôné par Wilde ne vise pas à émanciper l’homme du capitalisme, mais de « la misérable nécessité de vivre pour les autres ». Cent ans avant la chute de l’URSS, c’est une mise en garde contre un socialisme autoritaire qui détruirait toute individualité.

L’écrivain estime qu’il faut « s’efforcer de reconstruire la société sur une base telle que la pauvreté soit impossible ». En ce sens, le socialisme de Wilde se veut « éclairé », libéré de la propriété privée qui aliène et débarrassé du mauvais altruisme qui donne espoir en entretenant malgré elle la pauvreté. Il affirme que « la véritable perfection de l’homme réside non en ce qu’il a mais en ce qu’il est ».

Wilde développe une théorie dont le paradoxe est fondamental : le régime le plus communautaire doit être au service seul de l’individu et non de la communauté. L’essai, publié dans la Fortnightly Review de Frank Harris a de quoi choquer les défenseurs de l’ordre établi comme les socialistes orthodoxes. L’œuvre du dandy semble plus libertarienne que socialiste.

Statue d'Oscar Wilde allongé au Merrion Square (Dublin, Irlande)
Statue d’Oscar Wilde au Merrion Square (Dublin) ©anaxila

Le libertarisme en ligne de mire

« La démocratie n’est que le bâtonnement du peuple, par le peuple et pour le peuple »Oscar Wilde, L’âme de l’homme sous le socialisme

Pour Wilde, tous les modes de gouvernement sont injustes et toute autorité est avilissante. En plaçant les individus égaux devant la loi, la démocratie engendrerait une uniformisation de la société. Lorsque l’autorité est cruelle et violente, elle a pour effet positif d’éveiller l’esprit de révolte et l’individualisme qui doit la tuer.

En 1893, deux ans après la publication de son essai, Wilde déclare dans un entretien pour L’Ermitage

« Autrefois, j’étais poète et tyran. Maintenant je suis artiste et anarchiste »

L’année d’après, il précise sa pensée pour The Theatre :

« Je pense que je suis un peu plus qu’un socialiste. J’ai quelque chose d’un anarchiste, je pense. »

Dans son utopie, l’État doit être une association volontaire qui organise le travail. Il doit être le fabricant et le distributeur de toutes les choses nécessaires. Estimant que l’Homme a été trop longtemps esclave de la machine, il prône un esclavage mécanique, où les machines s’occupent de toutes les tâches ingrates. L’esclavage mécanique rendrait à l’individu tout le temps de se réaliser.

Pour résumer : « l’Etat doit s’occuper de l’utile. L’individu doit s’occuper du beau. » Le socialisme n’est perçu qu’afin de permettre l’épanouissement de la pensée et création individuelle.

L’art au cœur de l’utopie

« L’art est le mode d’individualisme le plus intense que le monde ait connu. »Oscar Wilde, L’âme de l’homme sous le socialisme

Tout comme William Morris, le poète, traducteur, peintre, dessinateur et architecte socialiste qu’il admirait, l’auteur dénonce la laideur des objets industriels fabriqués en série. La véritable émancipation des ouvriers passe par l’accès à la beauté, ce que l’État ne peut changer.

Le meilleur gouvernement pour l’artiste serait l’absence de gouvernement. Dès qu’une communauté ou une partie de cette dernière essaie de dicter à l’artiste ce qu’il doit faire, l’art s’évanouit, devient conventionnel ou « dégénère en une basse forme d’artisanat ». Prônant l’art pour l’art, Wilde s’oppose plus généralement à tout ce qui s’apparente à une entrave à la liberté de l’artiste : critiques, journalistes, gouvernements, opinion publique.

Photographie sépia d'Oscar Wilde en 1882 au théâtre Billy Rose
Oscar Wilde en 1882 au théâtre Billy Rose ©NYPL

L’art envers et contre tout(e la presse)

Dans la seconde partie de l’ouvrage, l’auteur opère une critique de la presse anglaise du XIXème siècle. De premier abord virulente, elle est tout à fait cohérente avec sa quête de liberté artistique absolue et le poids qu’il donnait à la presse comme seul pouvoir :

« Autrefois, on avait le chevalet. Maintenant, on a la presse. C’est certainement une amélioration, mais c’est encore très mauvais, très nuisible et très démoralisateur. »

Cette méfiance peut aussi s’expliquer par les critiques qu’a reçues son Portrait de Dorian Grey. Elles le mènent à estimer qu’il ne peut y avoir d’article de fond sans « préjugé, sottise, hypocrisie, et bavardage ». Dans la préface de son livre, il annonce :

« Dire d’un livre qu’il est moral ou immoral n’a pas de sens.  Un livre est bien ou mal écrit – c’est tout. »

Pour autant, Wilde s’oppose à la critique littéraire positiviste qui prône une prétendue objectivité. La critique doit s’affranchir de tout canon pour se réaliser dans le subjectif.

Wilde aujourd’hui, 165 ans plus tard

Le droit de la propriété intellectuelle protégeant aujourd’hui l’auteur d’une œuvre de son utilisation est une entrave à l’utopie artistique de Wilde. Pour l’intellectuel, toute œuvre doit être considérée comme point de départ d’une nouvelle création. Toutes les créations « réellement » artistiques sont originales et révolutionnaires.

Wilde aurait sûrement également détesté le développement de l’intelligence artificielle. Le prisme utilitariste qui prévaut aujourd’hui dans les plateformes commerciales ne nous émancipe pas mais nous rend plus que jamais dépendants des machines… et de ceux qui les programment.

L’auteur assume l’utopie et affirme son caractère essentiel. Une fois placée sur une carte du monde, elle donnerait à l’humanité la conviction qu’il existe au loin des contrées meilleures et le pousserait à remettre la voile. Certains trouveront cet ouvrage naïf, d’autres se laisseront porter par cette utopie-rêveuse, au gré de la plume d’Oscar Wilde.