Réfléchir au rap comme un style de musique s’avère être une fausse piste. Pour penser son rôle dans le présent, il faut davantage reconnaître en lui une culture et donc nécessairement sa soumission à une loi marchande
Notre premier constat méritait rectification. Si nous avions, ici, défendu que le rap avait atteint sa mutation ultime en tutoyant la pop, il n’en est en réalité rien.
Entre attitude, musique ou culture, qu’est-ce que le rap aujourd’hui ?
Le rap n’est pas (plus ?) un genre de musique. De beats et paroles, il est devenu plus généralement un lifestyle, une façon d’être. Un outfit ou un journaliste peuvent être assimilés au rap au même titre qu’un plat ou qu’une marque de téléphone. Mehdi Maizi est interviewé dans les mêmes médias que des rappeurs, leur style vestimentaire est scruté. Le rap se compose aujourd’hui tout autant de kebab et de survet’ Décathlon que de rimes et de seizes.
La dialectique d’une culture
En prenant compte de cette nouvelle définition, on s’aperçoit que le genre culturel « rap », connaît lui aussi des mutations dialectiques.
De « sous-culture », il est devenu une culture alternative. D’un style lié aux banlieues, la musique s’est gentrifiée jusqu’à devenir une culture légitime. Niska est invité sur France Inter, Les Victoires de la Musique ont une catégorie (logiquement à part des autres) Rap et musiques urbaines
Reste alors le dernier mouvement auquel nous assistons aujourd’hui : le rap devient la culture. Progressivement, les parois qui le séparait du reste de la culture populaire marchande (aussi bien télévisée qu’écrite) deviennent poreuses.
De cross over en cro$$ over
Il faut alors voir que nous sommes, aujourd’hui, à un point de rupture où le rap s’infiltre partout. Côté télé, Stephan Rotenberg dabbe sur du Black M. Pour la presse, Christophe Barbier met tout le monde mal à l’aise en posant. Quant à la littérature, Jean Rochefort raconte des histoires de « façon décomplexée dans un langage très vivant ». Si pour l’instant, cela fait sourire, la multiplication du phénomène nous habituera bientôt au décalage.
À l’inverse, on voit également que les rappeurs eux-mêmes sortent de leur zone de confort pour s’approprier de nouveaux thèmes.
D’Avengers aux clashs entre community managers, les cross-over sont dans l’air du temps. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce qu’il en naisse des toujours plus inattendus. Qu’importe leur qualité, leur côté inattendu générera automatiquement un fort engouement. Quoi d’étonnant à ce qu’une incarnation de l’homophobie rencontre une icône LGBT ?
Rien d’étonnant non plus, à ce qu’une série filme ces incompris pleurer devant un psychiatre. Ce n’est qu’un cross-over rap x science x psychologie.
On voit alors poindre une seconde mutation : c’est le rappeur et non plus ses textes qui est le produit. Le psychanalyse préfère écouter Guizmo que de décortiquer ses textes. Le rap a disparu au profit de ce qui le représente : ses auteurs à l’attitude rap.
Marchandisation et réification du rap(peur)
Alors on va faire des pubs
J’adore consommer donc moi j’appelle pas ça faire les putesTekitek, La Messe
Il faut donc se rendre à la triste évidence. Depuis Debord et Arendt, rien n’a changé et, pour analyser les évolutions du rap, ce sont bien les logiques du marché qu’il faut observer.
Si la plus grande part de la culture rap a toujours été capitaliste, sa volonté d’indépendance et une certaine estime d’elle-même l’a éloignée un temps de la culture mainstream (volontairement ou non).
L’artiste de rap répond maintenant à une demande (anticipée) qui l’utilitarise. Vald pour réfléchir, Alkpote pour se marrer, Orelsan pour être ému, Kaaris pour faire vivre une mythologie, Nekfeu pour l’engagement.
Il apparait alors rentable de mettre Vald en showcase, Alkpote dans des feats improbables, Orelsan à la tête d’une marque de vêtements, Kaaris dans les placements de produits en stories et Nekfeu dans des documentaires. Les cloisons entre les mediums (entre musique et Instagram, entre concert et film) sont, elles aussi, amenées à disparaître si ce n’est déjà fait.
En 2017, Genono se demandait si l’on pouvait vivre du rap en France.
Aujourd’hui, il semble que la technique soit surtout de trouver un marché de niche et d’exploiter le filon qui s’y rattache. Pourvu seulement que l’album contienne 2-3 bangers…

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