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Comment le droit encadre l’e-sport

Au fur et à mesure que l’e-sport se développe, le droit le définit et encadre ses différents acteurs, qu’ils soient streamers ou joueurs.

Avec le développement de l’e-sport se pose la question du droit des athlètes de plus en plus nombreux. Doit-on les considérer comme des professionnels ? des entrepreneurs ? des salariés ? des partenaires ? Leur statut est encore flou.

Lors d’une conférence, Geoffroy Lebon (ancien juriste pour l’Olympique de Marseille) et Gaylor Rabu (Maître de conférence à l’Université Aix-Marseille), ont tenté de mettre au clair les relations entre les joueurs, les clubs et les autres acteurs de l’e-sport.

Deux types d’e-sportifs

En droit, on peut reconnaître deux grandes familles de joueurs : les streamers et les e-sportifs. Le streamer divertit un public, créé une communauté alors que l’e-sportif s’entraîne au quotidien dans le but de performer lors de compétitions.

Ces deux métiers sont à distinguer même s’ils peuvent parfois s’opérer de concert. Alors que l’e-sportif sera soumis à un droit particulier, celui qui streame pour se changer les idées sera souvent auto-entrepreneur.

Contrat de travail ou auto-entrepreneur ?

L’e-sportif évolue dans un cadre juridiquement défini. La loi pour une République numérique de 2016 prévoit une forme de CDD spécifique pour “le joueur professionnel salarié de jeu vidéo compétitif” afin d’éviter un trop grand recours à l’auto-entreprenariat ou à la qualification d’artiste.

Le but est aussi de s’adapter à la temporalité spécifique de l’e-sport, rythmée par des saisons parfois très courtes.

Néanmoins, pour qu’il y ait un CDD, encore faut-il qu’il y ait un contrat de travail. Pour le déterminer, le juge s’intéresse souvent au lien de subordination (caractérisé par un lien de direction, de contrôle et de sanction de la part de l’employeur).

Ce lien peut être démontré avec ou sans compétitions. Par exemple, un joueur avec des fortes contraintes exercées par son sponsor (obligation de participer à certaines compétitions, de s’habiller de manière spécifique ou d’opérer des placements de produits) pourrait être reconnu comme un de ses salariés, comme cela s’est vu dans le domaine du tennis.

On peut aussi s’intéresser aux contraintes matérielles imposées au joueur. La mise à disposition de moyens matériels comme des ordinateurs ou des locaux est aussi utile pour déterminer s’il existe un contrat de travail.

L’accord du ministère du numérique est nécessaire

Pour employer ces e-sportifs, toute société ou association doit faire une demande d’agrément auprès du ministère en charge du numérique.

Il vérifie que l’objet de la structure comporte la participation à des e-compétitions et qu’elle est en mesure de fournir les moyens humains, matériels et financiers nécessaires. Les antécédents judiciaires, et la mise en place pour les joueurs d’un suivi physique, psychologique et professionnel adapté sont aussi observés. Actuellement, neuf structures bénéficient de cet agrément.

Quelle durée pour le CDD ?

Ce CDD spécifique, renouvelable à l’infini sans délai, doit durer a minima le temps d’une saison sportive, soit douze mois, et au maximum cinq ans. La loi ne prévoit pas de carence entre ces contrats ni de limite dans leur nombre. Ils doivent donc être renouvelés régulièrement causant ainsi une situation précaire pour les joueurs.

Julie Groffe, maître de conférences en droit du numérique à l’Université Paris Sud, critique d’ailleurs ce régime dans un article dédié. Malgré la loi de 2016 le cadre légal apparaît bien plus favorable à l’employeur qu’à l’employé.

L’auto-entrepreneuriat, une solution peu viable

Depuis la loi pour la République numérique, le recours à l’auto-entreprenariat est moins fréquent. Certains clubs non agréés continuent néanmoins à conclure des contrats de prestations de services avec des joueurs sous le statut d’auto-entrepreneur.

Loué pour sa liberté et flexibilité, ce régime est critiqué pour la faible sécurité de l’emploi qui l’accompagne et l’absence de protection sociale adaptée.

Il peut néanmoins se justifier si le joueur anime un créneau Twitch pour divertir ponctuellement et sans contrainte de l’employeur.

Quelles règles pour les mineurs ?

La loi s’est aussi penchée sur le cas des e-sportifs mineurs, de plus en plus nombreux dans la discipline.

Pour participer à une compétition, ils doivent être “informés des enjeux financiers” et, surtout, obtenir une autorisation écrite de leurs représentants légaux.

Les moins de douze ans ne peuvent pas participer à des compétitions avec des cash prize. Néanmoins, il leur est possible de participer à des tournois qui offrent des récompenses en nature (matériel, goodies, …). En théorie, des joueurs comme Migon (11 ans) ne devraient donc pas pouvoir participer à la plupart des tournois.

Pour employer des enfants de moins de 16 ans, les sociétés ou associations agrémentées doivent demander une autorisation de la Commission des enfants du spectacle pour chacun des athlètes.

La question des mercatos toujours en suspens

Très encadré dans le football, le “mercato” est libre dans l’e-sport.

Réguler les changements de club des joueurs pourrait pourtant s’avérer utile pour éviter des transferts en cours de compétition ou des clubs qui seraient tentés de se financer uniquement en spéculant sur des joueurs.

Pourquoi le droit du sport n’est pas transposable à l’e-sport

Il semblerait, a priori, plus simple d’appliquer la législation sportive telle qu’elle à l’e-sport. En réalité, la loi risquerait d’imposer un cadre trop contraignant pour la discipline naissante. L’e-sport ne dépendrait plus du ministère du numérique ou de la culture mais du ministère des sports. La politique dictée par le ministère s’imposerait aux acteurs de l’e-sport, bien moins structurés et représentés que les sports classiques auprès de l’État. Il faudrait par exemple soumettre l’e-sport aux contrôles anti-dopages dans toutes les compétitions. L’économie de l’e-sport n’est pas non plus assez développée et stable pour se voir complètement appliquer le droit du travail. Une grande différence se situe aussi au niveau de la billetterie. Le Code du sport précise que les organisateurs ont un monopole sur l’exploitation économique de la manifestation sportive. Dans l’e-sport, l’éditeur du jeu est titulaire de ce droit d’exploitation. Autrement dit, ce n’est généralement pas celui qui organise mais celui qui crée le jeu qui empoche et redistribue l’argent de la billetterie ou des droits de retransmission.

Grégoire Cherubini et Gaspard