Le confinement nous oblige à repenser l’importance de l’instant. Pour le meilleur.
Beaucoup pensent que la vitesse et l’accélération caractérisent aujourd’hui notre société. Internet, supermarchés ouverts 24h/24, virements instantanés, chaînes d’information en continue, GPS : tout semble devoir aller toujours plus vite.
Mais à y penser deux fois, c’est oublier le contre-courant que ce mouvement d’accélération a amené. En même temps que l’on loue la rapidité, on prône encore (parfois) la lenteur. Véritable luxe, seuls ceux qui sont assez rapides pour pouvoir dégager du temps libre sans culpabiliser peuvent se l’autoriser. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder comment sont vus le rôle de Chief Happiness Officer ou la sieste d’un start-uper par rapport à celle d’un éboueur que l’on licencie. Ce qu’on demande aujourd’hui, ce n’est pas tant d’être rapide mais d’être efficace. Il n’est ainsi pas non plus incohérent de valoriser parfois un travail long et minutieux (journalisme d’investigation ou haute couture).
L’important dans sa gestion du temps est en fait celle de l’instant. La question qui se pose à chacun de nous au quotidien, que ça soit au travail, chez soi, seul, avec les autres n’est pas tant « que faire de son temps » que « comment l’utiliser l’instant ? »
La loi du marché
Il faut aussi voir que l’attention est devenue un marché où tout individu doit en permanence arbitrer ses décisions. Vaut-il mieux travailler, jouer à Fortnite, apprendre une langue par sessions, regarder Netflix, aller au cinéma, courir ou retrouver ses amis ?
Les divertissements (entendus au sens pascalien comme des moyens d’éviter de penser à sa mort) sont désormais légions quand le temps, lui, ne s’est pas rallongé.
Ces questions d’arbitrage et de déconnexion sont d’autant plus centrales que l’instant est mythifié. « À l’instant t », « l’instant où tout a basculé » : l’histoire telle qu’elle nous apparaît est une suite de moments uniques mais décisifs. Une forteresse prise en 1789, un archiduc assassiné à Sarajevo en 1914, des tours qui s’effondrent en 2001, un coup de boule en 2007, autant d’instants où le monde a vacillé.
Et dès lors, comment ne pas craindre de manquer l’instant ? L’époque alterne entre ennui latent et besoin impérieux de se reconnecter au présent sans jamais sembler s’en angoisser.
Cette contradiction n’en est en réalité pas une. Cette série de reportage s’intéresse à la façon dont nous trouvons des stratagèmes pour ne jamais proprement nous ennuyer.
Notre enquête
Au fil des recherches et des témoignages, on se rend compte que plusieurs façons d’envisager l’instant coexistent et que l’on peut l’étudier d’autant de façons différentes. D’où un découpage de l’enquête façon feuilleton :
- Épisode 1 (introduction) : le défi contemporain de la gestion du temps
- Épisode 2 : ces jeunes qui ne connaissent pas l’ennui
- Épisode 3 : les influenceurs lifestyle qui se servent du développement personnel pour ne pas affronter de vivre l’instant
- Épisode 4 : en prison, le temps qui ne passe pas
- Épisode 5 : chérir l’instant, une condition humaine