La compagnie Disney vit une crise sans précédent à cause du Covid-19. Ses revenus ont été divisé par deux pendant la crise. Kevin Mayer, qui était le PDG de Disney+, a quitté sa fonction pour devenir le directeur de TikTok, le réseau social vidéo bien connu des 15-25 ans. Pourtant, au cours de son histoire, la compagnie Disney a su tirer profit des moments de crise. Ce fut le cas pendant la Seconde Guerre mondiale ainsi qu’au début de la Guerre Froide. Pierre Cras, qui est historien et Docteur en civilisation américaine a publié l’année dernière une étude sur le sujet, intitulée Entre politique de bon voisinage et films d’animation de propagande : Walt Disney s’en va-t-en guerre (1941 -1948).
Les Etats-Unis, qui ne voulaient pas prendre part aux affaires de la vieille Europe, sortent de leur isolationnisme en 1941 pour s’impliquer dans les affaires du monde. Walt Disney, sa femme Lillian ainsi que seize de leurs employés vont s’envoler pour une tournée sud-américaine qui durera près de dix semaines. Toutefois, ce n’est plus uniquement sous le statut de producteur américain qu’il va s’illustrer mais bien comme ambassadeur de bonne volonté, agissant donc tel un diplomate défendant la culture américaine. Celle-ci est alors en pleine expansion auprès des gouvernements d’Amérique Latine. En fait, cette approche diplomatique s’inscrit dans le principe de la politique étrangère de « bon voisinage » initiée en 1933 par le Président Franklin Delano Roosevelt. Selon l’homme d’affaires et diplomate Nelson Rockefeller, il s’agit de défendre en Amérique Latine « les relations culturelles et commerciales de la nation qui pourrait nuire à la défense de l’Occident », considérée comme une poudrière où circule l’idéologie nazie. Au Brésil par exemple, Walt Disney rencontre le président Getulio Vargas, ainsi que quelques uns de ses ministres. La première diffusion publique du film Fantasia a lieu à Rio, le 23 août 1941, au milieu d’un public mondain. L’opération est avant tout commerciale.
Le deuxième pays où il fait escale, c’est l’Argentine, où les relations avec les Etats-Unis sont difficiles, notamment après la prise de pouvoir du vice-président Ramon Castillo en juin 1941. Dans une note qu’il rédige pour défendre sa stratégie, Nelson Rockefeller y affirme que « les films sont un médium de premier choix pour promouvoir la compréhension et de meilleures relations entre les peuples ». Quoi de tel que de faire appel à un producteur qui enthousiasme petits et grands ? Néanmoins, ni la droite nationaliste qui publie des réquisitoires contre Walt Disney, ni les communistes qui voient en lui l’entrepreneur qui maltraite ses salariés ne l’accueillent avec gaieté. Malgré les polémiques, la création d’un studio Disney en Argentine marque la victoire de cet instrument de bon voisinage et qui devient très vite un succès mondial. Selon le sociologue français Jacques Ellul, cette propagande par l’image est en fait une propagande à ressort sociologique “sophistiquée” et “contraignante”, agissant sur l’inconscient des spectateurs qui découvrent un nouveau système de valeurs. D’ailleurs, écrit Pierre Cras, « le canard nord-américain Donald Duck, le perroquet brésilien José Carioca et le coq mexicain Panchito Pistoles est symbolique et est censé illustrer visuellement cet esprit de fraternité ».
Néanmoins, ce succès mondial ne fait pas l’unanimité dans les locaux de Walt Disney. 600 employés font grève pour revendiquer une amélioration de leur condition de travail. Ce n’est qu’au retour de la tournée de Walt Disney que les salariés obtiennent des avancées sociales. Augmentation des salaires, normalisation de la semaine des 40 heures, le groupe finit par céder.
L’effort consenti aura finalement payé, Disney continue encore aujourd’hui de fasciner à travers les frontières. Avec le coronavirus, 54,5 millions de personnes se sont abonnés à leur service de vidéo à la demande.