TENET, une brève histoire du temps (Critique)

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Messie annoncé des salles obscures, hybridation fantasmée entre Inception et James Bond, histoire de sauvetage du monde à base de bidouillage temporel… Projet ambitieux, TENET s’accompagne de tout un ensemble d’adjectifs : dense, riche, complexe, pompeux, superficiel, époustouflant, cryptique,

Nolan est-il allé trop loin, ou réalise-t-il un nouveau coup d’éclat à Hollywood ? Quel équilibre trouve-t-il entre divertissement populaire censé ramener au cinéma les foules et exploitation d’un concept (l’inversion du temps et son rembobinage) dont le traitement cinématographique est autant casse-gueule qu’intéressant ?

Au premier abord, Tenet semble cocher toutes les cases du film d’action hollywoodien contemporain. On y suit un protagoniste issu du monde de l’espionnage international chargé d’empêcher une Troisième guerre mondiale commanditée par un milliardaire russe.

Pour se différencier d’un énième James Bond ou Mission impossible, Tenet utilise une particularité scénaristique. Protagoniste comme antagoniste se servent de technologies futuristes pour inverser le temps. Les balles partent de l’impact pour aller vers canon du pistolet, les bateaux drainent à eux les vagues, les personnages courent à reculons…

Entre scènes d’actions d’une efficacité redoutable et moments de répit nous permettant de contempler ce monde tournant à l’envers, Nolan renoue avec ses origines de prestidigitateur. Il saisit l’incrédulité du spectateur pour l’émerveiller. Les facteurs cognitifs perturbés par l’inversion temporelle, si peu naturelle on se laisse prendre aux tours de magie sans comprendre toutes les ficelles. Tout au mieux, Nolan concède de temps en temps une explication scientifique pour justifier quelques phénomènes.

Car Tenet fait peu d’effort pour conforter le spectateur : à ce dernier de s’investir, de suivre et comprendre les explications des différents personnages, de relier les différents éléments entre eux, et tant pis s’il décroche.

Derrière son vernis spectaculaire, Tenet est rugueux, froid à l’image du protagoniste de l’histoire. Incarné par le très convaincant John David Washington, il assimile toutes ces découvertes temporelles sans broncher, comme autant d’évidences.

Du fait de cette opacité, Tenet s’est vu taxer de production prétentieuse et inutilement compliquée par une bonne partie du public. C’est une lecture qui pourtant ne semble pas saisir la pertinence de la proposition de Christopher Nolan. Si Tenet paraît cryptique, c’est surtout qu’il est radical dans le traitement de son idée phare. On est mis face à des scènes d’action dont on ne comprend pas de prime abord les causes. 

Cela correspond également à la division du film en deux parties relativement identifiables. Dans la première heure et demie, Nolan dispose plusieurs éléments comme autant de fusils de Tchekhov. La seconde partie consiste alors en un grand retour en arrière où le film revient sur sa première partie pour expliquer tous ces mystères.

La multiplication des lignes temporelles participe à la dynamique du film. À la narration composée de twists et révélations prenantes se mêlent des allers-retours dans le temps. Le mouvement permanent en devient spectaculaire sans jamais perdre sa cohérence.

Évidemment cela ne doit pas non occulter les quelques facilités d’écritures que se permet le film. Si l’on retrouve ce côté  »grand tour de magie » où le ressenti prime sur la compréhension, les ficelles sont parfois trop grosses. Le dernier quart du film semble se complaire dans une débauche d’action certes impressionnante techniquement mais vite épuisante. La fin en générale semble enfiler quelques dernières explications au chausse-pied.

Cette approche radicale du concept d’inversion de temps a un contre-coup. Le risque d’épuiser le spectateur, de mettre de côté celui qui ne parvient pas à dépasser l’apparence froide du film. Si crier au génie semble être excessif, Tenet reste un très bon film, efficace, dense et cohérent. Il faut reconnaître à Nolan l’audace d’assumer son concept jusqu’au bout, au risque de froisser une bonne partie du public.